« Amirata, Nathalie et les autres : témoignages de femmes à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre la traite des êtres humains », 30/7/2023, « Vanity Fair »
« Amirata, Nathalie e le altre: storie di donne nella Giornata Internazionale contro la tratta di esseri umani »
Amirata, Nathalie et les autres : témoignages de femmes à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre la traite des êtres humains
https://www.vanityfair.it/article/storie-donne-giornata-internazionale-tratta-esseri-umani
NDLR : Ce sont aussi des personnes comme celles-ci, qui plus est traquées par les forces de l’ordre, que nous, associations citoyennes locales, accueillons et aidons comme nous le pouvons dans la vallée de la Roya.
WeWorld Onlus raconte l’histoire des femmes dans le rapport Inter-routes : des femmes et des mineurs, parfois non accompagnés, bloqués à Vintimille et risquant d’être victimes de réseaux criminels organisant le franchissement irrégulier des frontières et la traite des êtres humains.
Issue d’une famille nombreuse en difficulté économique, Amirata a quitté la Guinée à l’âge de 17 ans pour travailler comme femme de ménage en Tunisie, grâce à la main tendue d’un parent. Mais là, au lieu d’un avenir meilleur, ce sont des années de harcèlement et d’humiliation qui l’attendent, dont elle parvient à s’échapper grâce à l’homme qui deviendra le père de ses filles, Bintou et Alya, âgées respectivement de 3 et 1 ½ ans. C’est avec elles que, suite à la fin de leur relation et au climat raciste insupportable sur le sol tunisien, elle tente sa chance en s’embarquant pour l’Europe. Le passage de la frontière de Vintimille n’a pas été de tout repos : elle a dormi dans la rue avec ses deux petites filles épuisées par le long voyage, elle a été arrêtée par des gendarmes français à la gare de Menton, mais heureusement, après avoir trouvé refuge dans l’abri de nuit, elle a pu retrouver une tante en France.
La fin heureuse n’est pas encore arrivée pour Nathalie, une Ivoirienne à peine majeure qui, après avoir été exploitée comme baby-sitter en Tunisie et violée au Ghana, a décidé de confier son enfant, fruit des violences subies, à sa mère pour tenter de jeter les bases d’un avenir plus solide pour elle, son enfant et sa mère en Europe. Bloquée à la frontière alors qu’elle tentait d’entrer en France à bord d’un bus, elle n’abandonne pas, son désir de rédemption est de plus en plus vif.
Ce ne sont là que quelques-unes des innombrables histoires de femmes seules ou accompagnées de leurs enfants, principalement originaires d’Afrique francophone, qui débarquent à Vintimille, carrefour de transit pour des milliers de migrants qui tentent de rejoindre les pays d’Europe occidentale. « Avec la suspension unilatérale du traité de Schengen par la France et le rétablissement des contrôles à la frontière franco-italienne, des dizaines de milliers de migrants sont refoulés chaque année et donc contraints de revenir dans la ville ligure. La plupart d’entre eux tentent de franchir la frontière à plusieurs reprises, souvent en s’appuyant sur des passeurs et au péril de leur vie », explique Jacopo Colomba, chef de projet de WeWorld Onlus à Vintimille.
Ici, au cours des six derniers mois, comme l’indique le rapport Inter-routes rédigé par l’organisation humanitaire, il y a eu une augmentation du flux migratoire de femmes et de mineurs, parfois non accompagnés, qui sont contraints de rester à Vintimille, au risque d’être victimes de réseaux criminels qui organisent des franchissements irréguliers de la frontière et la traite des êtres humains à des fins d’exploitation, en les trompant avec la promesse d’une rançon pour leur condition une fois qu’ils ont franchi la frontière franco-italienne.
« Dans les années passées, nous avons fait face au phénomène de la traite des femmes nigérianes, principalement à des fins d’exploitation sexuelle, qui s’est heureusement estompé grâce à l’émancipation de nombreuses femmes. Mais après le blocage causé par la pandémie, les mouvements ont repris et nous enregistrons une augmentation des filles francophones en provenance des récents débarquements à Lampedusa, fuyant la Tunisie nationaliste et xénophobe », dit-elle en insistant sur la réticence de ces femmes, souvent contrôlées par des compatriotes, qui dénoncent rarement et ne permettent donc pas de codifier l’ampleur réelle du phénomène.
La violence est le fil rouge de l’existence de ces jeunes migrants traumatisés qui sont parfois maltraités même à Vintimille ou contraints au sexe pour leur survie, c’est-à-dire à offrir leur corps pour obtenir de passer la frontière.
Bien que nous soyons dans un contexte frontalier avec des passages rapides et continus », explique M. Colomba, « nous essayons toujours de nous engager, en offrant un soutien psychologique et juridique, des produits de première nécessité et une protection dans un endroit sûr ».
Après la fermeture du Campo Roja, la seule structure d’accueil structurée mise en place par la Croix-Rouge italienne, en novembre 2020, WeWorld, en collaboration avec Caritas Intemelia et Diaconia Valdese, a ouvert les portes d’un abri de nuit, mis à disposition gratuitement par le diocèse pour offrir un refuge en particulier aux femmes et aux enfants contraints de dormir dans les rues dans des conditions inhumaines, en attendant d’entrer dans le circuit d’accueil proprement dit.
« Face à l’augmentation des flux et à l’absence totale de soutien de l’Etat, nous avons décidé de nous associer aux ONG restées sur le terrain pour créer un réseau européen qui nous permet de garder un canal de communication et de médiation ouvert sur un phénomène transnational », ajoute-t-il.
Il s’agit du réseau expérimental Beyond Borders (« par delà les frontières »), créé en février dernier par la collaboration d’associations italiennes, françaises et allemandes (PIAM, ASGI, Caritas Intemelia, Diaconia Valdese, Autres Regards, MIST, The Justice Project) afin d’assurer une réponse plus efficace aux besoins de protection des migrants qui se déplacent sur le territoire italien et français et, surtout, de comprendre la nature des mouvements secondaires de personnes susceptibles d’être exploitées par des réseaux criminels, en particulier les jeunes filles contraintes à la prostitution ou exploitées pour le travail.
« Il y a un besoin urgent d’une présence humanitaire stable et durable ainsi que de ressources dédiées à des catégories et des fragilités spécifiques, telles que les familles qui rentrent au pays, les femmes et les mineurs étrangers non accompagnés, et les victimes de la traite des êtres humains. Mais avant tout, une prise de conscience collective est indispensable pour favoriser une meilleure connaissance d’un phénomène qui n’est plus une urgence, mais une véritable crise humanitaire », conclut M. Colomba.
Mariem : Mon mari Emgui et moi venons de Guinée. Nous avons commencé notre voyage en octobre 2020 : mon père était décédé et ma mère souffrant de diabète, nous ne pouvions pas gagner assez d’argent pour lui acheter des médicaments, alors nous avons décidé de nous embarquer pour l’Europe. Aujourd’hui, je ne sais pas comment va ma mère, car elle n’a pas de téléphone et je n’ai réussi à avoir de ses nouvelles que deux fois depuis notre départ, par l’intermédiaire d’amis communs. Nous sommes arrivés en Italie en passant par la Tunisie. Lorsque nous avons débarqué à Lampedusa, où l’on a pris nos empreintes digitales, il y a quinze jours, j’étais encore enceinte. Hier, nous sommes arrivés à Vintimille et aujourd’hui, nous allons chercher un moyen de passer en France. J’ai 19 ans, mon mari 23, notre fils Amadi a presque un an et Munsa est née il y a 10 jours à Palerme. Nous aimerions passer en Belgique, car nous connaissons la langue. Vintimille – Photo de Michele Lapini MICHELE LAPINI
Nathalie : J’ai 18 ans et je suis originaire de Côte d’Ivoire, que j’ai quittée en 2021. Je suis arrivée en Italie il y a deux mois, en provenance de Tunisie, où j’ai été bloquée pendant un an, travaillant comme baby-sitter sous la direction d’une femme qui avait organisé mon voyage, mais qui me payait à peine. Avant cela, j’étais au Ghana où, à la suite d’un viol, je suis tombée enceinte : j’ai laissé le bébé à ma mère et je suis partie. Depuis la mort de mon père, ses proches nous ont tout pris et il ne nous restait plus rien. J’ai donc décidé de commencer mon voyage vers l’Europe, dont je rêvais depuis si longtemps, pour subvenir à mes besoins, aux siens et à ceux de mon enfant. Ma destination est Lyon, où vit ma sœur, mais ils nous ont bloqués, moi et mon compagnon, alors que nous essayions d’entrer en France par le bus. Jusqu’à présent, je n’ai fait qu’une seule tentative, mais je continuerai jusqu’à ce que j’y parvienne.Vintimille – Photo de Michele LapiniMICHELE LAPINI