Tribune, Libération: Despentes, Ernaux, Poutou, Medine…Roya citoyenne… : «Pourquoi nous nous opposons à l’opération Wuambushu à Mayotte»

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Roya citoyenne a co-signé cette tribune initié par les associations Survie – ensemble contre la Françafrique , Révolution permanente , et Collectif Stop Uwambushu à Mayotte (CSUM) 

Une centaine de personnalités et d’organisations estiment que l’opération de police qui devrait reprendre à Mayotte témoigne d’un «durcissement autoritaire du gouvernement» qui se sert du département d’outre-mer comme d’un «laboratoire» pour sa prochaine loi immigration.

Le 24 avril, le ministre de l’Intérieur et des Outre-Mer, Gérald Darmanin, et le gouvernement français ont décidé de lancer une violente opération contre les résidents de Mayotte provenant d’autres îles des Comores. Nommée «Wuambushu», celle-ci a été validée discrètement par Emmanuel Macron en conseil de défense au nom de la lutte contre la «délinquance» et «l’habitat informel».

Au programme, 400 expulsions quotidiennes pour un total de 24 000 expulsions sur deux mois, destruction de 10 % de l’habitat informel de l’île par jour. L’État cherche ainsi à jeter à la rue et à expulser des milliers de personnes. Pour l’occasion, 510 policiers supplémentaires ont été envoyés en renfort, avec parmi eux des policiers de la CRS8 ou de l’ERIS pour appuyer le RAID et le GIGN déjà sur place.

Ce mardi, l’opération a été temporairement freinée à Kongou, dans le bidonville du Talus 2, par la décision du tribunal judiciaire de Mayotte qui a suspendu la destruction du quartier pour cause, entre autres, d’absences de garanties de relogement présentées par l’État. Une décision qui n’arrête pas pour autant l’opération, l’État ayant réaffirmé sa volonté de la mener à bien. En réalité, celui-ci compte sur l’impossibilité quasi-totale et systématique de saisir un juge pour pouvoir agir au mépris de tout cadre légal.

Avec le lancement de «Wuambushu», c’est à un déferlement de violences auquel il faut se préparer, dans le cadre d’une opération militaro-policière qui s’inscrit dans la continuité du durcissement autoritaire du gouvernement et de sa répression violente des étrangers. Les interventions policières ont d’ailleurs commencé dimanche 23 avril par un déploiement de la CRS 8 autour de Tsoundzou, au cours duquel l’unité de police a utilisé près de 650 grenades lacrymogènes et tiré à balles réelles avec des pistolets automatiques.

L’ampleur de l’offensive est par ailleurs justifiée par un discours d’extrême droite, faisant des Comoriens et des étrangers les coupables de la situation sociale sur l’île et de tous les maux qui frappent ses habitants. Les propos xénophobes anti-comoriens de la part de députés et élus locaux se déchaînent et ont franchi un cap dans l’horreur avec la récente sortie du 1er vice-président du département de Mayotte qui a appelé au meurtre de jeunes immigrés. Une rhétorique dont la violence masque la réalité d’un territoire où 77 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté et où le taux de chômage atteint les 30 %, mais surtout, l’origine de cette misère.

La France est pourtant responsable historique d’une situation schizophrénique depuis qu’elle a arraché Mayotte à l’archipel des Comores au milieu des années 1970 pour conserver des positions dans l’Océan Indien. Depuis 1976, 20 résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies ont affirmé la souveraineté des Comores sur l’île de Mayotte, restée officiellement sous domination française. Le nouvel État comorien indépendant amputé s’est retrouvé aux prises avec une politique néocoloniale caricaturale, qui a laissé ce pays exsangue, tandis que la politique permanente de division des communautés, consubstantielles du colonialisme, a ancré de plus en plus la société mahoraise à la France, faisant de l’île un territoire d’outre-mer puis un département.

L’État a en parallèle continuellement durci sa politique migratoire et les conditions d’accueil des étrangers et en particulier des Comoriens des autres îles : mise en place du «visa Balladur» par Charles Pasqua en 1995, réduction des délais de demande d’asile à 7 jours, durcissement du droit du sol… Des lois d’exception qui ont donné lieu à une chasse aux sans-papiers, qui viennent et reviennent sur des embarcations de fortune, prenant des risques démesurés et créant un véritable cimetière marin entre Mayotte et l’île voisine d’Anjouan. Selon un rapport du Sénat, entre 1995 et 2012, ce sont entre 7 000 et 10 000 personnes qui sont mortes en tentant de rejoindre Mayotte. Ces données n’étant pas actualisées en raison d’une politique délibérée de dissimulation des morts.

Nous dénonçons fermement «Wuambushu». Cette démonstration de force sécuritaire ne fera qu’aggraver une situation déjà dramatique et qu’offrir à l’État un laboratoire pour sa politique migratoire qui sera encore durcie avec la prochaine loi immigration. Le combat contre l’opération est indissociable de la lutte pour faire reculer l’offensive autoritaire en cours. Il est donc fondamental que l’ensemble des organisations du mouvement social s’en emparent et se mobilisent également le 29 avril, prochaine date de manifestation contre le futur projet de loi immigration du gouvernement.

Premiers signataires : Alexis Antonioli, CGT Total Plateforme Normandie et militant du Réseau pour la Grève Générale, Etienne Balibar, philosophe, Lou Chesné, porte-parole de ATTAC France, Virginie Despentes, écrivaine, Soeuf Elbadawi, artiste engagé comorien et co-fondateur d’Africultures, Annie Ernaux, écrivaine, Prix Nobel de Littérature 2022, Patrice Garesio, co-président de Survie, Anasse Kazib, cheminot, porte-parole de Révolution Permanente, Médine, rappeur, Mohamed Nabhane, porte-parole du Collectif Stop Uwambushu Mayotte, professeur agrégé d’arabe, Philippe Poutou, porte-parole du Nouveau Parti Anticapitaliste, Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la Magistrature, Anzoumane Sissoko, porte-parole de la Marche des Solidarités, militant des luttes de sans-papiers, Assa Traoré, militante antiraciste, comité Justice et Vérité pour Adama, Aminata Dramane Traoré, écrivaine malienne, ancienne ministre du Mali, Françoise Vergès, politologue, militante féministe décoloniale.

Retrouvez l’ensemble des signataires de cette tribune initiée par le Collectif Stop Wambushu à Mayotte (CSUM), l’organisation Révolution Permanente et l’association Survie en cliquant sur ce lien : https://docs.google.com/document/d/1iFKN9cGIryrF6jmPiXXDCZmYyeYkVjPZL8KVMvrk_Fg/edit?usp=sharing