Mediapart : « Chroniques de la haine ordinaire » : le CRA de NICE, bien au-delà

CHRONIQUES DE LA HAINE ORDINAIRE (7/15) ENQUÊTE

À Nice, à l’heure de la prière, la police inflige du porno aux oreilles
des sans-papiers en rétention

Article de MEDIAPART du 7/3/22 « A Nice à l’heure de la prière la police inflige du porno aux oreilles des sans papiers », cliquez.

Article en téléchargement : article_1016449

D’après nos informations, une quinzaine d’étrangers, enfermés début janvier au centre de rétention de Nice, ont déposé plainte après qu’une bande-son pornographique a été diffusée dans les haut-parleurs du bâtiment. À l’heure pile de la prière pour les musulmans.

Galust Hakobyan se souvient d’abord d’un bruit évoquant une jouissance. Comme si quelqu’un faisait l’amour dans une chambre à côté de la sienne. Ce 2 janvier, aux alentours de 18 h 30, il achève son premier mois au centre de rétention administrative (CRA) de Nice, avec d’autres sans-papiers enfermés en vue de leur éloignement. Galust y fera 59 jours en tout, au terme desquels il sera expulsé. « Je me suis dit que ce bruit n’était pas réel, que ce n’était pas possible. » Il se ravise : les bruits sortent en réalité des haut-parleurs, et semblent avoir été préenregistrés. Qui peut diffuser des bruits pareils ? Et pourquoi ?

La première réponse va de soi. « Les policiers. Ce sont les seuls à avoir accès aux haut-parleurs », raconte Galust quand on le joint par téléphone, deux mois plus tard, le 2 mars, en Arménie. Au CRA, les fonctionnaires en usent et abusent pour diffuser des messages : convocations, annonces des repas, d’une visite… Ces appels rythment les journées des personnes retenues dans ces « prisons » pour étrangers où l’ennui colle à la peau.

Mais impossible pour Galust de descendre l’escalier en colimaçon qui mène de sa chambre, au premier étage de cette ancienne caserne, jusqu’au rez-de-chaussée, où est installé le poste des policiers. Positif au Covid, il est à l’isolement – son billet retour vers Erevan est ainsi suspendu aux résultats de ses analyses.

Cela fait deux ans que la préfecture des Alpes-Maritimes lui a notifié son souhait de le renvoyer, et Galust ne comprend pas bien pourquoi. « Je veux travailler, je suis bien en France », assure le cuisinier. « C’est un monsieur qui aurait toute sa place ici, des cas comme ça c’est rageant », ajoute son avocat, Me Paravicini, qui espère encore le faire revenir dans l’Hexagone. En droit des étrangers, les dénouements heureux sont rares. Mais c’est une autre histoire.

Les bruits en question, Galust n’est pas le seul à les avoir entendus. La veille, le samedi 1er janvier, ils sont aussi parvenus aux oreilles d’Omer*, un Tunisien avec lequel Mediapart a pu s’entretenir. C’était aux alentours de 14 heures, se souvient l’homme à la voix rauque, libéré depuis, et qui vit toujours dans la région de Nice : « Nous étions à l’étage, dans nos chambres avec plusieurs retenus quand on a entendu des bruits de sexe, comme sorti d’un film porno. » Dans la petite chambre, parmi l’assistance, certains bullent sur leur lit, ils sont une vingtaine à être enfermés en ce début d’année.

Mais la diffusion de cette bande-son pornographique intervient précisément à l’heure de la prière des musulmans. Plusieurs pratiquants sont déjà agenouillés, à l’instar de trois Algériens. « Ils priaient toujours à la même heure », évidemment, confirment Galust et Omer, qui ont passé plusieurs semaines avec eux.

Les rires des policiers

Les échos du film résonnent dans les couloirs. Trois fois de suite, entrecoupés à chaque fois d’une petite pause, avant de s’arrêter net. Rapidement, les esprits s’échauffent, les musulmans pratiquants le prennent pour eux. « Impossible de savoir si les deux sont liés », coupe Me Hmad, avocate en droit des étrangers, chargée par le barreau de Nice de suivre l’affaire. Mais « pour eux, c’était sûr que les policiers faisaient ça pour leur manquer de respect par rapport à leur religion ». Autrement dit : par islamophobie, rapporte Omer.

N’étant pas à l’isolement, lui est libre de ses mouvements, se rend au rez-de-chaussée du centre et constate que c’est bien à des fonctionnaires qu’ils doivent cette ambiance sonore. Ils le lui auraient confirmé, devant plusieurs témoins. Sept ou huit, se souvient-il. « Les policiers, ça les faisait marrer », rapporte Omer, qui confie avoir eu des problèmes avec ce groupe, trois ou quatre uniformes, tout au long de sa rétention. « Ce n’était pas des CRS ou des militaires. Eux, c’était des gamins. Ils faisaient les chauds, on avait l’impression qu’ils se prenaient pour des brigades spéciales. »

Certains des retenus descendent en caleçon, en signe de protestation, précise-t-il. L’atmosphère est tendue. Principale responsable de la diffusion de la bande-son ? Une policière du CRA, explique Omer. Cette dernière s’en serait vantée. « Elle nous a dit qu’elle se foutait de ce que l’on disait. Pour moi, c’était de la provocation. »

Quinze retenus ont consigné ces faits dans une plainte, datée du 5 janvier 2022, envoyée au procureur de la République de Nice. D’autant qu’à les entendre, « l’épisode » se serait produit à plusieurs reprises, sur deux jours distincts. Dans ce document, que Mediapart a pu consulter, ils accusent les policiers et policières de les avoir soumis à des traitements dégradants, de les avoir « traités comme des animaux ».

Une enquête interne

Les faits y sont relatés avec précision. Particulièrement pour la journée du dimanche 2 janvier : la diffusion du son d’un film pornographique au moment de la prière ; la présence au poste de fonctionnaires de police dont les témoins livrent une description précise ; la policière est aussi accusée d’avoir proposé des relations sexuelles, moyennant compensation financière. Pour rire, encore ?

Contacté par Mediapart, le parquet de Nice n’a pour le moment pas répondu à nos demandes d’interview. Sollicité par la direction du centre de rétention, ce dernier aurait indiqué que les faits ne sont pas passibles de poursuite, soutient la Direction générale de la police nationale (DGPN), également interrogée par Mediapart.

Rapidement, l’affaire se diffuse du centre de rétention aux avocat·es de la région, habitués au droit des étrangers. Aziza Dridi en est. Elle défend aujourd’hui quatre des quinze plaignants. La jeune avocate, quatre ans de barre, est prévenue le jour même des faits. « Un des retenus m’a prévenue. J’en ai appelé d’autres pour confirmer », relate-t-elle.

Le 4 janvier, elle écrit un long mail au commandant du centre, revenant sur les principales allégations de ses clients. Dans ce message, que Mediapart a pu consulter, il est question du film pornographique, des propositions de relations sexuelles tarifées, mais aussi de l’état « second » de la policière – « peut-être sous le coup de l’alcool » ?

Mais impossible pour Galust de descendre l’escalier en colimaçon qui mène de sa chambre, au premier étage de cette ancienne caserne, jusqu’au rez-de-chaussée, où est installé le poste des policiers. Positif au Covid, il est à l’isolement – son billet retour vers Erevan est ainsi suspendu aux résultats de ses analyses.

Cela fait deux ans que la préfecture des Alpes-Maritimes lui a notifié son souhait de le renvoyer, et Galust ne comprend pas bien pourquoi. « Je veux travailler, je suis bien en France », assure le cuisinier. « C’est un monsieur qui aurait toute sa place ici, des cas comme ça c’est rageant », ajoute son avocat, Me Paravicini, qui espère encore le faire revenir dans l’Hexagone. En droit des étrangers, les dénouements heureux sont rares. Mais c’est une autre histoire.

Les bruits en question, Galust n’est pas le seul à les avoir entendus. La veille, le samedi 1er janvier, ils sont aussi parvenus aux oreilles d’Omer*, un Tunisien avec lequel Mediapart a pu s’entretenir. C’était aux alentours de 14 heures, se souvient l’homme à la voix rauque, libéré depuis, et qui vit toujours dans la région de Nice : « Nous étions à l’étage, dans nos chambres avec plusieurs retenus quand on a entendu des bruits de sexe, comme sorti d’un film porno. » Dans la petite chambre, parmi l’assistance, certains bullent sur leur lit, ils sont une vingtaine à être enfermés en ce début d’année.

Mais la diffusion de cette bande-son pornographique intervient précisément à l’heure de la prière des musulmans. Plusieurs pratiquants sont déjà agenouillés, à l’instar de trois Algériens. « Ils priaient toujours à la même heure », évidemment, confirment Galust et Omer, qui ont passé plusieurs semaines avec eux.

Les rires des policiers

Les échos du film résonnent dans les couloirs. Trois fois de suite, entrecoupés à chaque fois d’une petite pause, avant de s’arrêter net. Rapidement, les esprits s’échauffent, les musulmans pratiquants le prennent pour eux. « Impossible de savoir si les deux sont liés », coupe Me Hmad, avocate en droit des étrangers, chargée par le barreau de Nice de suivre l’affaire. Mais « pour eux, c’était sûr que les policiers faisaient ça pour leur manquer de respect par rapport à leur religion ». Autrement dit : par islamophobie, rapporte Omer.

N’étant pas à l’isolement, lui est libre de ses mouvements, se rend au rez-de-chaussée du centre et constate que c’est bien à des fonctionnaires qu’ils doivent cette ambiance sonore. Ils le lui auraient confirmé, devant plusieurs témoins. Sept ou huit, se souvient-il. « Les policiers, ça les faisait marrer », rapporte Omer, qui confie avoir eu des problèmes avec ce groupe, trois ou quatre uniformes, tout au long de sa rétention. « Ce n’était pas des CRS ou des militaires. Eux, c’était des gamins. Ils faisaient les chauds, on avait l’impression qu’ils se prenaient pour des brigades spéciales. »

Certains des retenus descendent en caleçon, en signe de protestation, précise-t-il. L’atmosphère est tendue. Principale responsable de la diffusion de la bande-son ? Une policière du CRA, explique Omer. Cette dernière s’en serait vantée. « Elle nous a dit qu’elle se foutait de ce que l’on disait. Pour moi, c’était de la provocation. »

Quinze retenus ont consigné ces faits dans une plainte, datée du 5 janvier 2022, envoyée au procureur de la République de Nice. D’autant qu’à les entendre, « l’épisode » se serait produit à plusieurs reprises, sur deux jours distincts. Dans ce document, que Mediapart a pu consulter, ils accusent les policiers et policières de les avoir soumis à des traitements dégradants, de les avoir « traités comme des animaux ».

Une enquête interne

Les faits y sont relatés avec précision. Particulièrement pour la journée du dimanche 2 janvier : la diffusion du son d’un film pornographique au moment de la prière ; la présence au poste de fonctionnaires de police dont les témoins livrent une description précise ; la policière est aussi accusée d’avoir proposé des relations sexuelles, moyennant compensation financière. Pour rire, encore ?

Contacté par Mediapart, le parquet de Nice n’a pour le moment pas répondu à nos demandes d’interview. Sollicité par la direction du centre de rétention, ce dernier aurait indiqué que les faits ne sont pas passibles de poursuite, soutient la Direction générale de la police nationale (DGPN), également interrogée par Mediapart.

Rapidement, l’affaire se diffuse du centre de rétention aux avocat·es de la région, habitués au droit des étrangers. Aziza Dridi en est. Elle défend aujourd’hui quatre des quinze plaignants. La jeune avocate, quatre ans de barre, est prévenue le jour même des faits. « Un des retenus m’a prévenue. J’en ai appelé d’autres pour confirmer », relate-t-elle.

Le 4 janvier, elle écrit un long mail au commandant du centre, revenant sur les principales allégations de ses clients. Dans ce message, que Mediapart a pu consulter, il est question du film pornographique, des propositions de relations sexuelles tarifées, mais aussi de l’état « second » de la policière – « peut-être sous le coup de l’alcool » ?

« Si un de mes clients avait fait un truc comme ça, il aurait été sanctionné très sévèrement », commente de son côté maître Dridi.

L’épisode n’est que le dernier d’une longue liste de « dysfonctionnements » dans le centre de rétention de Nice, avance de son côté Me Hmad. En décembre 2020, un retenu a dû subir une ablation des testicules en urgence à la suite de violences policières.

En octobre 2021, lors d’une opération de grande ampleur de la préfecture au cours de laquelle plusieurs dizaines de sans-papiers sont interpellés, les fonctionnaires écrivent des numéros au marqueur sur les mains des personnes arrêtées. Comme pour les reconnaître. « Un marquage d’hommes dans un but précis est indigne de notre société. Nous avons d’autres moyens de lutter contre l’immigration clandestine et les traitements dégradants doivent être exclus », réagit Me Hmad. Dans cette affaire, l’avocate saisit à l’époque le parquet de Nice, qui juge la pratique « regrettable ».