« Vers une commission d’enquête sur l’accueil des migrants », La Croix 7/4/21

https://www.la-croix.com/France/Vers-commission-denquete-laccueil-migrants-France-2021-04-07-1201149800

Vers une commission d’enquête sur l’accueil des migrants en France

Le groupe de députés Libertés et Territoires va exercer son droit de tirage pour créer une commission d’enquête parlementaire sur les conditions d’accueil des migrants en France. Il s’agit de mesurer l’écart entre ce que dit le droit et la réalité sur le terrain.

Nathalie Birchem, – le 07/04/2021

La France respecte-t-elle la loi en matière d’accueil des migrants ? C’est la question à laquelle compte répondre la future commission d’enquête parlementaire sur les migrations qu’entend créer le groupe de députés Liberté et Territoires.

Ce groupe hétéroclite, qui rassemble une quinzaine d’anciens LREM, des centristes, des radicaux et des nationalistes corses, a exercé son droit de tirage pour obtenir cette commission, « qui devrait commencer ses travaux en mai pour un rapport attendu fin novembre », assure Sébastien Nadot, député de Haute-Garonne, qui souhaite en assumer la présidence.

Ce parlementaire, qui avait ferraillé contre plusieurs articles de la loi asile immigration, avait été exclu du groupe LREM en 2018 après avoir voté contre le budget. Il a ensuite rejoint le groupe Écologie démocratie solidarité, puis en mars 2021 le groupe Libertés et territoires, « qui avait en tête de travailler sur la migration et m’a appelé à le rejoindre à cette occasion », indique-t-il.

Une « crise » de l’accueil

Quand elle sera constituée, la commission d’enquête sera composée d’élus à proportion du poids de chaque groupe à l’Assemblée. Mais pour l’instant, la tonalité de la résolution met l’accent sur une « crise » de l’accueil et de la « dignité humaine ».

Le texte précise que les migrations sont « un sujet majeur pour nos sociétés du XXIe siècle, à commencer par la France », et qui « renvoient immanquablement au respect du droit, c’est-à-dire aux engagements qu’une société prend vis-à-vis d’elle-même concernant les valeurs et les principes d’humanité qu’elle souhaite honorer ». Or, « il y a peu de domaines où le sentiment d’un écart entre les textes et la réalité vécue n’est aussi grand », poursuit le texte.

La résolution donne donc à la commission d’enquête la mission « d’évaluer, en retraçant le parcours des migrants, la réalité des conditions d’accueil et d’accès au droit, notamment à nos frontières, des migrants, réfugiés et apatrides en France au regard du droit international, européen et national ».

Des migrants témoigneront à l’Assemblée nationale

« Je veux que des migrants viennent témoigner directement à l’Assemblée nationale pour redonner de la profondeur humaine à cette question, précise Sébastien Nadot. Je souhaite savoir pourquoi, à la frontière italienne, des gens qui disent vouloir demander l’asile sont refoulés. Je voudrais comprendre comment, alors qu’on a dépensé beaucoup d’argent pour augmenter le nombre de places d’hébergement, il se fait que tant de personnes dorment à la rue. » L’élu entend aussi « tester les sites des préfectures pour mesurer à quel point les étrangers qui doivent faire leurs papiers ne parviennent pas à avoir un rendez-vous ».

Mais le député, qui a voulu que le texte soit traité en commission des affaires étrangères, insiste aussi pour que soient examinées l’action de l’Union européenne, au travers de son agence Frontex notamment, ainsi que « les positions françaises défendues au niveau européen ».

Le point sur la question des migrations pour des raisons climatiques

Il veut également examiner « l’action ou l’inaction de la France dans les pays d’émigration [qui] contribue à résorber ou au contraire amplifie les phénomènes migratoires » et disséquer les accords bilatéraux qui lient la France à de nombreux pays. Enfin, il entend faire le point sur la question des migrations, actuelles ou à venir, pour des raisons climatiques.

Si cette commission d’enquête ne correspond pas exactement à la demande faite en 2019 aux parlementaires par cinq associations d’enquêter sur les atteintes aux droits aux frontières intérieures de la France, « nous saluons cette initiative, qui est positive, réagit Laurent Giovannoni, responsable migration au Secours catholique. Toutefois, nous souhaiterions qu’il ne s’agisse pas d’un énième rapport sans suite mais nous espérons qu’il débouchera sur des recommandations concrètes ».

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https://www.la-croix.com/France/A-18-ans-jeunes-migrants-risquent-devenir-sans-papiers-2021-03-01-1201143107

À 18 ans, ces jeunes migrants qui risquent de devenir sans-papiers

Pour soutenir les migrants en apprentissage, plusieurs personnes ont entrepris des grèves de la faim. Des soutiens radicaux qui mettent en lumière les difficultés de nombreux jeunes privés de papiers à 18 ans après avoir été pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance.

Nathalie Birchem, — le 01/03/2021 à

Yaya Bah, 20 ans, n’y croit pas encore. Patricia Hyvernat, 53 ans, un peu plus. Depuis le 9 février, la seconde était en grève de la faim pour que le premier ne soit pas expulsé. Le 23 février, les deux ont appris qu’ils seront reçus à la préfecture de l’Ain, mercredi 3 mars, en vue d’une issue favorable. Sans doute grâce aux 12 800 personnes qui ont signé leur pétition et au député LREM Stéphane Trompille, ému par son histoire.

Parti à 14 ans de Guinée, vendu à un entrepreneur en Libye, Yaya est arrivé en France à 16 ans en 2017, où il a été pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance. Alors qu’il cherche un stage, il croise sur un marché la route de Patricia, qui vend le pain qu’elle et son compagnon fabriquent dans leur ferme« On l’a pris en boulangerie et on a découvert un jeune très sympa, motivé, courageux, qui s’est très bien fait à notre style de vie »,raconte-t-elle. Le couple, dont les neuf enfants sont grands, décide de le prendre comme apprenti. Mais, à 18 ans, Yaya n’obtient pas de titre de séjour… jusqu’à ce que la situation se débloque.

Comme Yaya Bah, Laye Fodé Traore, guinéen lui aussi, a été régularisé mi-janvier, et même naturalisé, après la grève de la faim de son patron, Stéphane Ravacley, boulanger à Besançon (Doubs). En Haute-Loire, Madama Diawara, jeune Malien de 19 ans en contrat d’apprentissage chez des éleveurs, vient, lui, d’apprendre que son obligation de quitter le territoire était suspendue, le temps d’examiner de nouveaux documents d’identité. Éric Durupt, l’enseignant qui l’accueille chez lui, espère ne pas avoir à reprendre sa grève de la faim, qui a duré trois semaines.

Des milliers de jeunes concernés
La situation de ces jeunes, mise en lumière grâce à ces actes de soutien radicaux, n’est que la partie émergée de l’iceberg. « Je pense qu’ils sont des milliers à se retrouver sans papiers alors que nous manquons de bras dans nos entreprises », estime le boulanger Stéphane Ravacley, en contact avec une vingtaine de « patrons solidaires ». En 2019, pas moins de 40 000 « mineurs non accompagnés » (MNA) étaient pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance. Que deviennent-ils à leur majorité ?

Selon la loi,« s’ils ont été pris en charge avant 16 ans, qu’ils ont suivi sérieusement une formation et n’ont pas eu de problème, à 18 ans, ils se voient délivrer de plein droit un titre vie privée vie familiale, détaille Solène Ducci, juriste au Gisti. En revanche, les jeunes pris en charge après leurs 16 ans peuvent obtenir une admission au séjour exceptionnelle mais c’est un pouvoir discrétionnaire du préfet. » Les jeunes doivent déposer leur demande avant leur 19e anniversaire. La préfecture regarde alors s’ils peuvent faire la preuve de leur identité, de l’absence d’attache dans leur pays d’origine et de non-commission de troubles à l’ordre public, ainsi que de six mois de formation professionnelle.

Mais, alors que le nombre de MNA a triplé entre 2016 et 2019, « on observe de plus en plus de refus d’accorder des titres de séjour », alerte Solène Ducci. Les préfectures semblent de plus en plus pointilleuses dans l’examen des documents, y compris pour des pays à l’état civil défaillant, ou dans l’application d’une instruction récente qui aboutit à faire cesser l’autorisation de travail dès 18 ans. « En Île-de-France, il y a aussi des départements où les dossiers sont bloqués parce que les guichets dématérialisés sont saturés », ajoute Armelle Gardien, militante du Réseau éducation sans frontières Hauts-de-Seine. D’où une très grande diversité de traitement. « En Charente-Maritime, on n’a pas trop de problèmes », souligne Didier Meyerfeld, de Solidarité Migrants de La Rochelle. À l’inverse, « dans l’Ain, à 18 ans, seuls 5 % d’entre eux en moyenne obtiennent un titre de séjour », expose Michel Caron, président de l’Alefpa, qui précise que « dans le Var, sur les derniers mois de 2019, neuf jeunes sur dix n’ont pas eu de titre de séjour ».

Sans titre de séjour, ces jeunes basculent dans la clandestinité. « C’est un immense gâchis, non seulement parce que chaque jeune pris en charge coûte en moyenne 100 000 € par an à la société, mais aussi et surtout parce que ce sont des gamins qui savent que leur intégration ne peut passer que par le travail et qui sont très très motivés, rappelle Rémi Barbas, chef de service à la Fondation Apprentis d’Auteuil à Dijon. Chez nos MNA, 90 % des stages se convertissent en apprentissage et un apprentissage sur deux en CDI. Il n’est d’ailleurs pas rare que les patrons se portent garants pour leur logement, tellement ils veulent les garder. »

Parmi les commentaires de lecteurs :

Jean-Baptiste 1/3/21 – 9h10

Le scandale est dans le cas des mineurs si criant que la régularisation s’impose si un peu de monde se mobilise.

Il y a d’autres situations tout aussi injustes qui malheureusement ne font pas bouger ceux qui pourraient agir.

J’ai embauché en 2019, et formé à la viticulture au cours de trois autorisations de travail qui ont été accordées de haute lutte, un migrant sénégalais, ancien agriculteur, arrivé en France en 2017 après deux années d’esclavage en Libye. Si on m’avait un jour dit qu’un homme me raconterait comment il a été acheté et revendu dans un lot d’esclaves j’aurais souri.

Débouté du droit d’asile en septembre dernier il n’est semble-t-il ni expulsable (pour l’envoyer vers quoi après toutes ces années?) ni employable malgré ma promesse d’embauche en cdi, ma demande d’autorisation d’embauche d’un salarié étranger, son parcours d’intégration (10 mois de volontariat à la banque alimentaire avant de pouvoir obtenir une première autorisation temporaire de travail) et mon manque de main d’œuvre qualifiée.

Je suis profondément choqué, et déçu, de l’incapacité de mon pays à reconnaître les parcours individuels remarquables, à reconnaître humblement que, s’il ne peut accueillir tout le monde, il peut tendre la main et faire preuve d’humanité.

Seulement il a 27 ans et cela ne semble pas choquer grand monde de le laisser errer dans ce qui ressemble à du non droit.

Est-il normal que ses démarches restent sans réponse pendant des mois? Que le système se prive d’un cotisant de plus, qu’il ne soit plus capable de reconnaître un parcours d’intégration ?
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https://www.la-croix.com/France/Reza-Jafari-porte-voix-migrants-afghans-2020-12-28-1201132168

Reza Jafari, porte-voix des migrants afghans

Reza Jafari, jeune Franco-Afghan qui a connu l’exil en Iran jusqu’à son arrivée en France à 14 ans, est devenu le porte-parole des migrants afghans qui vivent dans les rues à Paris et sa proche banlieue.

Nathalie Birchem, – le 28/12/2020

Ce soir-là, un petit groupe de huit jeunes Afghans s’avance vers lui. En dari, ils expliquent à Reza Jafari que la police leur a pris leurs tentes et qu’ils n’ont plus rien. Le jeune homme les écoute, et, le téléphone sur l’oreille, essaie de trouver du matériel de secours. Ce ne sera pas encore ce soir qu’il va rentrer tôt chez lui. Depuis l’évacuation du campement de Saint-Denis du 17 novembre, ce jeune Franco-Afghan de 25 ans passe ses soirées et parfois aussi ses journées auprès des exilés afghans du Nord parisien.

Après la dispersion expéditive d’un millier de migrants, dont de très nombreux Afghans, laissés à la rue après cette évacuation, Reza Jafari s’est retrouvé propulsé au rang de porte-voix de ces exilés, qui veulent d’abord crier leur colère contre les violences policières qu’ils subissent.
« Ils se faisaient frapper, insulter, ils voulaient marcher sur l’hôtel de ville, je les ai calmés mais je leur ai aussi promis qu’on ferait quelque chose », raconte-t-il. Ce « quelque chose » aboutira six jours plus tard à l’installation de tentes place de la République. Installation elle aussi dispersée brutalement mais suivie par l’ouverture de centaines d’hébergements supplémentaires.

« Si j’arrête, leur dernier espoir va tomber »

Depuis, Reza Jafari n’a pas lâché ses compatriotes. « Malheureusement, je ne peux pas arrêter. Ils sont accrochés à moi, si j’arrête, leur dernier espoir va tomber », explique-t-il, au bord de l’épuisement.

Pourtant il y a quelques semaines, ce jeune papa, qui a une épouse et une petite fille de 19 mois, avait décidé de prendre du recul en prenant un travail de traducteur à la Cour national du droit d’asile. Depuis deux ans, il recevait quotidiennement les migrants afghans qui lui demandaient de l’aide, mais il avait décidé de lever le pied sur la permanence juridique. « Pour que je puisse les aider, ils me racontaient ce qui leur était arrivé. C’est devenu trop lourd, ça me renvoyait trop à ma propre histoire. »

Pour fuir la guerre, les parents de Reza, issus de l’ethnie minoritaire hazara, quittent l’Afghanistan alors qu’il est encore bébé et s’installent dans un camp de réfugiés en Iran. Mais alors qu’il a 9 ans, il perd toute sa famille dans un tremblement de terre. Lui-même restera plus d’une journée sous les décombres.

Quinze jours sous les ponts à 14 ans

Dès lors, il vit « avec des plus grands », travaillant dans le bâtiment, et subissant les brimades des Iraniens « qui considéraient que nous les Afghans n’étions bons qu’à nous battre ». Il devient bagarreur. À 14 ans, il prend la route de l’exil, via la Turquie, avant de rallier la Grèce en bateau, puis l’Italie dans un camion qui transportait des raisins secs. « Je suis arrivé à Paris en novembre 2009, caché dans un train de nuit sous une couchette. »

Reza vit alors quinze jours sous les ponts de Paris, avant d’être pris en charge par l’association Enfants du monde puis par l’Aide sociale à l’enfance. Là, il met les bouchées doubles pour apprendre le français, et, alors qu’il est au collège, il reçoit le prix de la mairie de Paris de l’élève le plus méritant. « Pour moi, qui pensais que je n’étais pas intelligent, ça a été très important cette première réussite », raconte-t-il.

À cette époque, l’adolescent est aussi suivi par le centre de soins psychiques de Parcours d’exil, où il fait une rencontre déterminante, celle du docteur Pierre Dutertre, qui décide de financer ses études en lycée général puis deviendra son père adoptif.

Une existence consacrée aux autres

Cette stabilité retrouvée l’apaise. En 2012, il crée l’association Enfants d’Afghanistan et d’ailleurs. « Je voulais découvrir mon pays d’origine, que je ne connaissais pas, et investir dans la jeune génération, celle qui peut changer l’Afghanistan. » En 2013, devenu français, il part à Kaboul et ouvre une école, puis un centre de soins psychiques. Mais en 2015, il subit des menaces et doit rentrer.

Après un service civique à Pôle emploi, Reza Jafari rejoint le service de santé des armées. « J’avais envie de servir la France qui m’a beaucoup donné. »Mais l’ambiance ne lui convient pas et il démissionne en 2017. Il prend alors conscience que son existence sera consacrée aux autres. Avec Parcours d’exil, il commence à s’investir dans un projet d’accueil en appartement de jeunes migrants qui ne sont pas reconnus mineurs, tout en recevant bénévolement des Afghans qui lui demandent de l’aide.

Fin 2018, il se lance aussi dans la création du Centre culturel afghan de Paris « pour promouvoir la culture afghane et unir les Afghans au-delà de leur ethnie ». « C’est important de travailler aussi à l’intégration et ça passe par la connaissance de sa propre culture », ajoute le jeune homme.
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Son inspiration : La France, pays des droits de l’homme

« Si je fais tout ça, c’est aussi pour la France. J’aime mon pays, et quand je dis mon pays, je pense à la France, l’État qui m’a accueilli il y a onze ans et où est née ma fille. Quand je suis arrivé ici, on m’a appris l’histoire de la patrie des droits de l’homme, celle des grands présidents, comme Charles de Gaulle, Jacques Chirac, François Mitterrand. J’y suis attaché.

Mais aujourd’hui, je ne reconnais plus la France. Quand on pousse hors de Paris des gens qui dorment dehors, quand on les frappe, les gaze et les traite de zombies, de terroristes, tout ça avec un petit sourire, j’ai du mal à comprendre ce qu’est devenu mon pays. »

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