Rapport du 5/6/18 du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL), visite 4-8 sept. 2017

Revue de presse :

Article de MEDIAPART du 5/6/18 très complet et documenté, « A la frontière italienne, la police prive des migrants mineurs de leurs droits », par  Mathilde Mathieur, à télécharger en pdf : article_7350 article_751328

http://www.cglpl.fr/2018/rapport-de-la-deuxieme-visite-des-services-de-la-police-aux-frontieres-de-menton-alpes-maritimes/
Rapport de la deuxième visite des services de la police aux frontières de Menton (Alpes-Maritimes)Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, au ministère de l’intérieur auquel un délai de sept semaines a été fixé pour produire ses observations. A l’issue de ce délai, aucune observation n’a été produite.

SYNTHÈSE

Quatre contrôleurs ont effectué une visite inopinée sur la prise en charge des personnes étrangères interpellées par le service de la police aux frontières terrestre (SPAFT) de Menton (Alpes-Maritimes) du 4 au 8 septembre 2017. Un rapport de constat a été envoyé au chef du SPAFT, au procureur de la République et au président du tribunal de grande instance de Nice par courriers en date du 26 janvier 2018. Ce dernier a formulé ses observations dans un courrier du 3 mars 2018. Le directeur départemental de la police aux frontières des Alpes-Maritimes a fait part de ses observations dans un courrier du 9 mars.

Le SPAFT a déjà fait l’objet d’une précédente visite du contrôle général des lieux de privation de liberté (CGLPL) en juillet 2015, lorsque la frontière franco-italienne était régie par le principe de libre circulation des personnes au sein de l’espace Schengen.

Dans le cadre de la réintroduction temporaire du contrôle[1] aux frontières intérieures le 13 novembre 2015, reconduite à plusieurs reprises jusqu’au 30 avril 2018, un dispositif de contrôle du secteur frontalier terrestre avec l’Italie est en place[2]. Cela permet de notifier aux personnes interpellées à des points de passage autorisés (PPA) une décision de refus d’entrée dans le cadre d’une procédure de non admission. La direction départementale de la police aux frontières (DDPAF) assure la coordination du dispositif, renforcé par des forces de sécurité réparties sur les PPA (ferroviaires et routiers). La surveillance est également étendue à des points de contrôle situés en dehors des PPA, la procédure de non admission est employée à l’encontre des étrangers interpellés dans une zone élargie de la frontière terrestre alors que, présents sur le territoire, ces personnes devraient faire l’objet d’une procédure de réadmission.

Les personnes contrôlées sont essentiellement des hommes seuls et des mineurs non accompagnés. Pour l’année 2016, le nombre de personnes majeures non admises a été de 31 285[3] dans le département des Alpes-Maritimes dont 31 025 (soit 99,2%) au SPAFT Menton et, de janvier à août 2017, de 29 422 dont 29 144 (soit 99,1%) au SPAFT Menton. La moyenne des personnes interpellées entre le 6 août et le 6 septembre 2017 est de 115 par jour. Concernant les mineurs, en 2016, 8 520 mineurs ont fait l’objet d’un refus d’entrée dont 8 518 (soit 99,97%) à Menton et, de janvier à août 2017, 10 462 dont 10 434 (soit 99,73%) à Menton. Le nombre de réadmissions simplifiées est résiduel : en 2016, 1 620 dont 62 au SPAFT Menton.

Les personnes interpellées sont conduites au poste de police du Pont de Saint Louis à Menton, seul poste frontalier français en charge de la gestion des procédures de renvoi de plusieurs dizaines de milliers de personnes en six mois. Toute l’activité du poste de police aux frontières est recensée sur un registre numérique d’entrée et de sortie. Pour autant, des données importantes comme la durée des maintiens des personnes au poste sont souvent lacunaires et d’autres ne reflètent pas la réalité.

La majorité des interpellations a lieu à la gare de Menton-Garavan où la plupart des contrôles des voyageurs à bord des trains sont effectués au faciès par les forces de sécurité. Des pratiques de refoulement ont été observées par les contrôleurs, consistant à inviter des mineurs isolés et des familles à reprendre un train vers l’Italie sans qu’aucune procédure ne soit mise en œuvre.

Des formulaires de refus d’entrée sont mis à la disposition des forces de sécurité à chaque point de contrôle, afin que soit renseignée la première page du document (informations relatives à l’identité). Certains formulaires comportent indûment des rubriques pré cochées, notamment celles du motif de non admission et du refus du bénéfice du jour franc.

Les locaux exigus du SPAFT de Menton ne sont pas adaptés aux missions de contrôle de l’immigration bien que, depuis la première visite, la récupération d’une partie des locaux de la douane a permis notamment d’aménager une « salle d’attente » plus grande pour les étrangers.

Les personnes non admises, conduites à Menton, pénètrent par l’entrée du poste donnant directement sur la route et sont présentées au chef de poste par les fonctionnaires interpellateurs. Le volume d’activité induit chez les fonctionnaires de police une tension qui nuit à la bonne exécution de leur service. Les contrôleurs ont été témoins d’un acte de violence (§ 4.1.2) par un fonctionnaire du SPAFT faisant fonction de chef de poste en soirée, à l’encontre d’un jeune migrant. Le CGLPL mettant en œuvre la procédure de l’article 40 du code de procédure pénale, a adressé un signalement au procureur de la République.

En journée, les personnes ne passent en général que quelques minutes à l’accueil, assises sur une rangée de quatre sièges, le temps de relever à nouveau leurs nom, âge et nationalité. Elles sont ensuite invitées à rejoindre immédiatement l’Italie à pied, munies de leur décision de refus d’entrée. De nuit, les étrangers sont maintenus dans des locaux indignes. Les mineurs et les femmes restent jusqu’au matin dans une « salle d’attente » pouvant accueillir jusqu’à trente personnes, dépourvue de tout confort minimal (quelques bancs ne permettant pas de s’allonger, un WC à la turque sans verrou). Les hommes majeurs[4]passent la nuit dans des structures modulaires à l’extérieur du poste de police jusqu’à l’ouverture du poste frontalier, dans des conditions indignes : quatre modulaires sans aucun mobilier dont le sol est sale, encombré de détritus, de cartons et de quelques couvertures non nettoyées sales ; trois sanitaires chimiques dans un état immonde[5]. Les points d’eau installés dans la salle d’attente et dans la cour ne permettent pas d’assurer l’hygiène corporelle des personnes en attente. Aucun équipement (matelas, couverture…) n’est fourni pour dormir ou se protéger de la fraîcheur de la nuit. De plus, les étrangers qui passent plusieurs heures de jour comme de nuit dans ces locaux ne bénéficient d’aucun repas. Seuls quelques madeleines et des bouteilles d’eau sont distribuées à la demande, voire selon la bonne volonté des fonctionnaires de police.

Concernant le respect des droits, les conditions dans lesquelles les décisions de refus d’entrée sont renseignées et notifiées aux personnes étrangères les privent de toute possibilité d’exercer les droits afférents à leur situation[6]. A aucun moment au cours de leur mission les contrôleurs n’ont vu de policier lire aux personnes les décisions les concernant ou leur en expliquer en détail la teneur.

Par ailleurs, les éventuelles demandes d’asile ne sont pas prises en compte alors que les personnes interpellées à la frontière disposent du droit de déposer une demande de protection. Ces demandes ne sont ni traitées ni enregistrées au motif qu’elles sont irrecevables selon les services de la police aux frontières.

La prise en charge des mineurs isolés qui représentent près d’un tiers des personnes non admises à la frontière franco-italienne dans les Alpes-Maritimes, n’est pas ou très peu différenciée des adultes[7]. Les contrôleurs ont relevé que des mineurs isolés interpellés sur le territoire ont été réadmis vers l’Italie alors qu’ils  ne peuvent en aucun cas faire l’objet d’une mesure d’éloignement. Quelques mineurs seulement (27, soit moins de 0,3% des mineurs interpellés à Menton) ont été confiés aux services de l’aide sociale à l’enfance entre janvier et septembre 2017. Selon la police aux frontières, les mineurs voyageant à plusieurs ou accompagnés d’adultes de la même nationalité ou parlant la même langue sont considérés comme « faisant  famille ». Le contrôle général des lieux de privation de liberté rejoint le Comité européen de prévention de la torture en ce qu’il recommande que « Les enfants non accompagnés ou séparés qui sont privés de liberté doivent obtenir rapidement et gratuitement l’accès à une assistance juridique, ou à une autre assistance appropriée, y compris la désignation d’un tuteur ou d’un représentant légal, qui les tient informés de leur situation juridique et protège effectivement leurs intérêts […] »[8].

La durée de maintien des personnes au poste de police dépend essentiellement de la disponibilité des autorités italiennes, dont le point de remise unique n’est ouvert qu’en journée. Les personnes sont privées de liberté pendant des durées dépassant le « raisonnable » dans des locaux n’ayant pas le statut juridique de zone d’attente et dénués du confort minimal acceptable.

Les analyses juridiques présentées par la direction départementale de la police aux frontières dans ses observations au rapport de constat mettent en doute la validité des conclusions du CGLPL en terme d’atteintes aux droits (jour franc, demande d’asile, durée de la privation de liberté sans placement en zone d’attente…). Ces analyses n’emportent pas la conviction du Contrôleur général qui rappelle que dans le cadre de sa mission il s’assure, au-delà de la simple application des lois et réglementation, de l’effectivité concrète des droits fondamentaux des personnes privées de liberté.

L’objectif de réacheminement des migrants interpellés à la frontière franco-italienne par la police aux frontières s’apparente à une obligation de résultat : garantir l’étanchéité de la frontière dans le déni des règles de droit. Dans ce contexte de pression politique, les fonctionnaires de police accomplissent leurs missions « à la chaîne ».

En tout état de cause, la prise en charge quotidienne des personnes étrangères s’effectue dans des conditions indignes et irrespectueuses de leurs droits.

[1] Les contrôles sont réalisés à l’entrée en France en application de l’article L 211-1 du CESEDA.

[2] La note de service de la DDPAF du 4 septembre 2017 indique les modalités de contrôle des forces de sécurité aux points de passage autorisés et une surveillance entre ces PPA pour interpeller les personnes migrantes ne répondant pas aux conditions d’entrée sur le territoire.

[3] Les statistiques sont établies par la DDPAF des Alpes-Maritimes.

[4] Le 6 septembre 2017, trente-neuf personnes interpellées entre 18h40 et 22h55 avaient passé la nuit dans les structures modulaires et dix mineurs dans la « salle d’attente ».

[5] Le rythme de nettoyage des sanitaires chimiques de la cour est insuffisant, une fois par semaine seulement en raison de la sur occupation des locaux. La cour et les modulaires ne sont jamais nettoyés. Aucune désinfection ni désinsectisation n’est organisée dans les modulaires.

[6] Droit à un interprète professionnel, droit à faire avertir un proche, leur consulat ou un avocat, droit à consulter un médecin.

[7] Pas de droit automatique à bénéficier du jour franc, pas de désignation d’un administrateur ad hoc, pas de signalement des mineurs non admis au procureur de la République.

[8] Comité européen pour la prévention de la torture, fiche thématique sur la rétention des migrants, mars 2017,https://rm.coe.int/16806fbf13

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