Vendredi, ou la vie politique sauvage de la Croisette

L’aïoli du maire, la visite de la ministre, une manifestation pro-burkini et la montée des marches de migrants ont scandé la journée du 26 mai.

La ministre de la culture Françoise Nyssen entourée du président du Festival de Cannes, Pierre Lescure (à gauche), et du délégué général, Thierry Frémaux, sur les marches du Palais des festivals au 70e Festival de Cannes, le 26 mai 2017. LOIC VENANCE/AFP

Plus que deux jours avant la Palme d’or… Cannes est sur les dents, des petits signaux s’allument sur tous les fronts, ce vendredi 26 mai. Un projet de rassemblement « toutes en burkini » a été interdit par la préfecture, et la police va devoir écumer les plages… Le maire de Cannes avait été le premier à prendre des arrêtés anti-burkini en août 2016, dans les semaines qui avaient suivi l’attentat de Nice du 14 juillet.

Il est aussi question que des réfugiés montent les marches aux côtés du réalisateur Michel Toesca. Celui-ci est en train de réaliser un documentaire sur la vie quotidienne avec les migrants dans la vallée de la Roya, entre élan de solidarité et affrontements avec les forces de l’ordre. Le mercredi 24 mai, dans la soirée, le délégué général du Festival, Thierry Frémaux, avait donné son accord de principe. Jeudi matin, il recevait un appel de la préfecture. Pas de réfugiés sur le tapis rouge ! Depuis, le Festival est à la recherche d’un plan B…

Durant le festival, deux migrants ont été retrouvés morts, électrocutés dans un local technique, en gare de Cannes-La Bocca. Un Malien le 19 mai, puis un Sénégalais le 23 mai…

Côté politique, la ministre de la culture est en visite officielle. 9 heures : Françoise Nyssen rencontre des journalistes au café d’un grand hôtel. Elle a déjà une bonne nouvelle : le 23 mai, lors du conseil des ministres européens à Bruxelles, la France a fait adopter des quotas minimum de 30 % d’œuvres européennes sur les services de vidéo à la demande. Pour le reste, la ministre néophyte, désormais ancienne patronne des éditions Actes Sud, ne fait pas semblant… Quand elle n’a pas la réponse, elle se tourne vers son directeur de cabinet, Marc Schwartz. « Je suis la ministre choisie sur travaux pratiques », dit-elle, en citant les autres activités qui se sont greffées à Actes Sud : l’organisation de concerts, les expositions, l’école alternative « Domaine du possible ».

Tireurs d’élite postés sur le toit

11 heures 30 : les Clash et Nina Hagen plein tube sous les fenêtres de l’hôtel de ville. Des élus attendent le discours du maire, mentons qui battent le rythme au-dessus des cravates. David Lisnard inaugure quatre bus à impériale décorés par Robert Combas, et remercie l’artiste d’avoir accepté de gommer les armes qui figuraient dans son projet initial. En période d’attentat, dit-il… Et Françoise Nyssen ? Oui, il l’a bien rencontrée, assure-t-il, et lui souhaite de réussir. « Si elle ne se fait pas manger par les petits cochons consanguins de la rue de Valois… », ajoute l’ex-conseiller culture de François Fillon pendant la campagne présidentielle.

Puis le maire file au banquet « aïoli » au Suquet, dans le vieux Cannes qui domine la Croisette. Avec des jumelles, on pourrait voir les tireurs d’élite postés sur le toit du Palais des festivals.

Le réalisateur Michel Toesca prépare le départ pour Cannes avec quatre réfugiés : Abdou (Tchad), Ilyias (Niger), Joseph (Sierra Leone) et Emad (Soudan)

Au même moment, le réalisateur Michel Toesca prépare le départ pour Cannes avec quatre réfugiés : Abdou, originaire du Tchad, Ilyias (Niger), Joseph (Sierra Leone) et Emad (Soudan). Il y a aussi l’avocate Maeva Binimelis, et l’agriculteur Cédric Herrou, habitant de la vallée dont la maison ne désemplit pas. Chez lui, les réfugiés sont les bienvenus… Et les relations sont tendues avec la préfecture des Alpes-Maritimes. Cela fait deux jours que le petit groupe se trouve à Nice, avec d’autres réfugiés venus déposer des demandes d’asile.

Où dormir ? Après des heurts avec les forces de l’ordre, mercredi soir, ils finissent par passer la nuit sur les marches du palais de justice. Le jeudi soir, ils sont hébergés chez des Niçois. Bientôt, les marches du Palais des festivals ? Vendredi en début d’après-midi, le producteur du film, Jean-Marie Gigon, vient chercher le réalisateur, l’avocate, l’agriculteur et les quatre réfugiés, et les conduit à Cannes en minibus.

Pas de chaussures à disposition

16 heures : la ministre sort d’un cinéma. Elle a vu Kiss and Cry, de Chloé Mahieu et Lila Pinell, un film sur des adolescentes qui pratiquent le patinage artistique de haut niveau sélectionné à l’ACID, l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion. C’est bien la première fois qu’un(e) ministre de la culture rend visite à l’ACID, nous dit l’un de ses piliers. Direction la plage de la Quinzaine des réalisateurs, où des élèves d’un collège de la banlieue de La Bocca ont réalisé des photos sur le thème de l’égalité femmes-hommes. Une affiche détournée de la 70e édition du Festival, avec un homme qui se trémousse à la place de Claudia Cardinale, fait son petit effet auprès de la délégation ministérielle.

Un coup d’œil sur les actualités cannoises. On apprend que neuf femmes ont été interpellées par la police devant l’hôtel de luxe Martinez. Elles avaient l’intention de se baigner en burkini à Cannes. Elles ont été entendues dans les locaux du commissariat, avant d’être libérées vers 17 heures.

Neuf femmes ont été interpellées par la police devant l’hôtel de luxe Martinez. Elles avaient l’intention de se baigner en burkini

Quelques minutes plus tard, dans le centre-ville : essayage de costumes-nœud pap’chez un créateur français, qui prête les vêtements aux réfugiés. Au fait, précise le vendeur, on ne met pas les chaussures à disposition. Mince ! Ils ne peuvent pas monter les marches en basket. Un chausseur accepte de faire un prix… Le 44 est trop petit, vite un 45 pour Emad.

18 heures : la préfecture ne lâche pas l’affaire. Les négociations continuent avec le festival. Le verdict tombe : O.K. pour les marches, à 22 heures, pour le film de Fatih Akin, mais sans voiture officielle, sans place à l’orchestre. Ce sera la corbeille.

21 heures 30 : au moment d’emprunter le tapis rouge, un agent demande à Cédric Herrou : « Avez-vous votre pièce d’identité ? Avez-vous une invitation ? » « Oui, il est invité », tranche sa collègue en uniforme. « Vous pouvez y aller, bonne soirée… »

Par Clarisse Fabre

Publié Le 27.05.2017 à 09h35