En appel, Cédric Herrou se heurte à l’incompréhension

 Aide aux migrants : en appel, Cedric Herrou se heurte à l’incomprehension

PAR LOUISE FESSARD ARTICLE PUBLIE LE MERCREDI 21 JUIN 2017 – www.mediapart.fr
téléchargeable ici : mediapart-proces-appel-herrou

 

Jugé en appel à Aix-en-Provence pour aide à l’entrée, à la circulation et au séjour de personnes en situation irrégulière, l’agriculteur Cédric Herrou, qui héberge des migrants en vallée de la Roya, s’est retrouvé confronté à un mur d’incompréhension.
Ce 19 juin 2017, l’agriculteur Cédric Herrou, 37 ans et figure emblématique du combat des habitants de la vallée de la Roya, comparaissait devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence pour aide à l’entrée, à la circulation et au séjour de personnes en situation irrégulière. Il lui était également reproché l’occupation le 20 octobre 2016 d’une ancienne colonie de vacances de la SNCF, à Saint-Dalmas-de-Tende, avec une cinquantaine de migrants. « Vous vivez seul ? », commence par demander le président de la cour, comme une blague à répétition. L’agriculteur hébergeait ce jour-là sous des tentes et dans des caravanes installées sous ses oliviers près de 130 migrants…
Une cinquantaine de militants, notamment de la LDH, étaient présents lundi devant la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, pour soutenir Cédric Herrou © LF
Depuis le rétablissement des contrôles à la frontière franco-italienne en novembre 2016 à la suite des attentats de Paris, cette vallée des Alpes-Maritimes est devenue un point de passage obligé pour les migrants souhaitant rejoindre la France. Toutes les nuits, de petits groupes partent de Vintimille par les voies de chemin de fer, les sentiers ou la départementale. Ils croisent souvent sur leur chemin les champs d’oliviers,
puis l’habitation de Cédric Herrou, à 7 kilomètres de la frontière. Visible de la voie ferrée, celle-ci est la première avant le village de Breil-sur-Roya.
Le 10 février 2017, le tribunal correctionnel de Nice avait condamné l’agriculteur à 3 000 euros d’amende avec sursis pour avoir aidé des étrangers en situation irrégulière à franchir la frontière italienne. Soulignant la « situation globale d’indignité et de détresse dans laquelle se trouvent nécessairement les migrants, isolés […] démunis de l’essentiel », le tribunal correctionnel de Nice l’avait relaxé pour les autres faits, en faisant jouer l’exemption humanitaire. « Il ne saurait être reproché à quiconque de les avoir recueillis, logés, nourris, écoutés et entourés, afin de les restaurer dans leur dignité », indiquent les juges niçois dans leur décision écrite.
Incongruité notoire, l’immunité créée en 2012 par le gouvernement socialiste porte uniquement sur l’aide au séjour et non sur l’aide à la circulation : il est légal d’héberger un migrant sans contrepartie, pas de l’emmener en voiture jusqu’à chez soi. Avec bon sens, le tribunal niçois avait étendu cette immunité aux faits d’aide à la circulation : « Pour apporter […] un hébergement provisoire, Cédric Herrou a nécessairement dû véhiculer les migrants pris en charge sur le sol français. »
Les juges avaient également estimé que l’occupation de l’ancienne colonie de vacances de la SNCF répondait à l’état de nécessité, « au regard de la gravité de la menace encourue par les migrants dans l’hypothèse où il se seraient trouvés à la rue ». En revanche, le tribunal avait estimé que cette immunité ne concernait pas le transport de familles et mineurs isolés pris en charge à Vintimille, côté italien, transport pour lequel l’agriculteur a été condamné, faute d’avoir apporté « la preuve au cas par cas » de la « situation de danger réelle et constatée » pour chacun de ces migrants.
Les témoignages de cinq militants de la vallée, dont deux infirmières, avaient sans doute pesé sur la décision des juges niçois, en faisant entrer au sein du palais de justice un peu de cette réalité, de leur désarroi face à des gamins arrivant les pieds en sang d’avoir marché toute la nuit sur les voies ferrées. Le procureur de Nice, qui avait réclamé huit mois de prison avec sursis, avait fait appel, suivi par Cédric Herrou et la SNCF, déboutée de sa demande de réparation.
Manifestement, la cour d’appel d’Aix-en-Provence ne partage pas non plus l’analyse des juges niçois. « Vous connaissiez la loi qui incrimine de façon très précise l’aide aux étrangers ? Aviez-vous conscience que vous étiez en contradiction avec la loi ? », répète son président Bernard Jacob. Alors que l’absence de contrepartie a été clairement établie par l’enquête, un de ses assesseurs questionne l’agriculteur sur la présence de trois enveloppes contenant plus de 1 000 euros en liquide dans le fourgon de l’association Roya citoyenne. L’autre assesseur l’interroge sur l’habitude qu’il avait prise, depuis une première interpellation, d’effacer systématiquement ses textos et le journal des appels de ses trois téléphones portables, « une pratique courante dans cette chambre spécialisée dans la délinquance organisée », glisse-t-il.
L’avocat général Christophe Raffin menace Cédric Herrou, concernant ses relations avec le préfet des Alpes-Maritimes : « Est-ce qu’il vous est arrivé de l’insulter ? Même pas sur Facebook ? Injure et diffamation, vous connaissez la loi la presse ? »
Avant de tailler en pièces la décision du tribunal de Nice, dont il juge les motivations « très particulières, alambiquées et peu compréhensibles ». Il remet en cause la « sérénité » des débats en première instance, insinuant que des « actions de pression » ont pu
amener les juges niçois à cette décision clémente, qualifiée de « détournement de l’économie de ces textes ».
Une dizaine d’avocates du Syndicat des avocats de France ont assisté à l’audience en soutien au prévenu © LF
À demi-mots, l’avocat général laisse entendre que l’agriculteur utiliserait les migrants pour servir une cause militante. Et que cette dernière constituerait bien une contrepartie ! « Quand l’aide à l’entrée s’inscrit dans une contestation globale de la loi, elle n’entre pas dans les exemptions prévues mais sert une cause militante, et non une réponse à une situation de détresse. Ce service constitue, à ce titre, une contrepartie. »
Christophe Raffin estime que le fait que plusieurs migrants soient décédés depuis l’été 2016 en tentant de rejoindre Nice ne justifie pas l’occupation du bâtiment de la SNCF. « Le danger doit être réel et imminent, et non hypothétique et futur », tonne-t-il. Le jour même, un accident est pourtant survenu à la frontière. Selon les secours, un migrant de 27 ans a été retrouvé électrocuté sur le toit d’un train. Il a été évacué en urgence absolue au centre hospitalier pour grands brûlés de Toulon, dans le Var. Depuis le début de l’année, la SNCF dénombre 4 morts et 2 blessés par électrocution entre Vintimille et Cannes, sans compter les accidents sur les voies.
Mais à Aix-en-Provence, l’avocat général avance que c’est plutôt l’agriculteur qui a mis les 58 migrants en danger en les abritant dans des locaux inadaptés. « Des solutions alternatives étaient possibles, car au moment de l’arrivée des gendarmes, il n’en restait plus que 4. C’est bien que M. Herrou avait trouvé des solutions pour les loger », argue-t-il, provoquant des rires indignés dans le public. Quant aux migrants que Cédric Herrou a transportés depuis l’Italie, il ne s’agit «pas d’une aide humanitaire, car la situation est comparable des deux côtés ».
L’avocat général a requis huit mois avec sursis, avec limitation à certains heures de l’autorisation de conduire et confiscation du fourgon acquis par l’association Roya citoyenne pour éviter toute récidive. Grand prince, il conclut qu’il n’y a pas besoin d’un suivi par les services judiciaires, suivi dont « on pourra s’assurer par d’autres moyens, voire même par voie de presse ».
« Nous, on parle d’humains, eux remplissent des cases juridiques »
Cédric Herrou demande lui la relaxe, contestant avoir continué à transporter des migrants depuis l’Italie après fin septembre 2016. Interpellé en flagrant délit parlapoliceauxfrontières(PAF)le11août2016,avec à bord de sa camionnette huit personnes, dont trois femmes et deux enfants de cinq ans, tous Érythréens, qu’il venait d’embarquer à Vintimille, Cédric Herrou avait été relâché sans poursuite à l’issue de sa garde à vue. Le procureur de la République de Nice, Jean- Michel Prêtre, avait classé l’affaire le 11 octobre 2017 pour immunité humanitaire. La cour n’est donc pas saisie de ces faits.
Cédric Herrou, peu avant son procès lundi 19 juin 2017 © LF Pour étayer cette infraction, l’accusation ne peut s’appuyer que sur ses déclarations de l’époque aux médias. Dans un article duNew York Times du 4 octobre 2016, l’agriculteur avait estimé avoir aidé « plus de 200 migrants africains à entrer en France ». « Au mois d’octobre, je n’ai pas transporté de personnes depuis la frontière. Ils sont arrivés seuls à mon domicile », affirme Cédric Herrou à la barre. « Où sont les étrangers en situation irrégulière ?,
demande son avocat, Me Zia Oloumi. Si vous n’avez pas d’étrangers en situation irrégulière, il n’y a pas d’infraction [d’aide à l’entrée – ndlr] ».
L’avocat a insisté sur les manquements de l’État à la frontière franco-italienne, documentés par plusieurs ONG, ainsi que le Défenseur des droits. Le 31 mars 2017, le tribunal administratif de Nice a condamné le préfet des Alpes-Maritimes pour « atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile ». Récemment, ce même tribunal a constaté que les préfabriqués dans lesquels les étrangers étaient détenus à la PAF de Menton, en attendant d’être reconduits en Italie, n’avaient aucune existence légale. « Lorsque le citoyen intervient, c’est doute qu’il y eu une carence de l’État », remarque Zia Ouloumi, qui rappelle que Cédric Herrou vient d’une famille d’accueil et « a été nourri au grain du partage et de la fraternité ».
L’avocat a défendu une conception large de l’exemption humanitaire. « La loi de 2012 crée une véritable immunité sans distinction. C’est surtout l’intention qui compte. On ne peut pas fractionner la solidarité : être condamné pour ceci, pas pour cela. L’abbé Pierre ne posait pas la question aux gens avant de les aider… »
Entre « 120 et 180 migrants » continuent d’arriver chaque semaine dans la vallée. Mais, depuis ces décisions de justice condamnant l’État, la situation a évolué. « Les mineurs isolés sont mieux pris en compte et nous avons des accords avec la gendarmerie pour accéder à la Pada à Nice », explique Cédric Herrou à la barre. Le matin même, une centaine de migrants sont montés à la gare Breil-sur-Roya dans le TER pour Nice. La mairie de Breil-sur-Roya et l’association Roya citoyenne ont pris en charge les billets, à tarif négocié avec la SNCF. Trois jours plus tôt, 84 migrants, accompagnés de militants, avaient du faire le chemin à pied (trois jours de marche), faute de billets.
Une fois arrivés à Nice, les migrants effectuent leur pré-demande d’asile à la Plateforme d’accueil des demandeurs d’asile (Pada), puis repartent souvent ailleurs. « On les dirige vers les petites villes, explique Morgan, le frère de Cédric. La plupart veulent demander l’asile en France, mais pas en Paca, tellement ils y ont mal été accueillis. À Nice, il n’y a aucun hébergement et la police fait une chasse au faciès. »
La préfecture a elle encore resserré sa surveillance autour de la ferme de l’agriculteur, qu’il a rebaptisée avec humour « CCH » pour « Camping Cédric Herrou ». Depuis début mars, des policiers de la PAF, aidés de projecteurs, contrôlent 24 heures sur 24 les voitures à Fanghetto, la frontière franco-italienne, à 7 kilomètres de chez lui. Et plus récemment, l’agriculteur a constaté la présence, sur la colline en face de chez lui, de gendarmes équipés d’appareils photos et de caméras, se protégeant sous des bâches. L’absurdité des moyens déployés le frappe. « Je n’ai jamais rencontré de migrant bloqué depuis un an à Vintimille. Au bout de deux ou trois mois, ils réussissent à passer, quels que soient les contrôles policiers. À un moment, il faut sortir des beaux locaux de la préfecture pour voir ce qui se passe et arrêter d’incriminer les aidants et de stigmatiser les réfugiés », dit-il.
À chaque passage devant une juridiction, les militants de la vallée de la Roya (Alpes-Maritimes) constatent eux le décalage entre leur vécu et la justice. « Il y a une méconnaissance des réalités qui est stupéfiante. On nous demande, face à un groupe, de faire un état des lieux personne par personne pour distinguer qui est vraiment en danger ,» s’exclame René Dahon, 69 ans. Ce porte-parole de l’association Roya Citoyenne était jugé le 16 mai avec trois autres retraités pour avoir transporté vers Nice depuis la vallée six personnes venues d’Érythrée et du Tchad, dont deux adolescents.
« Nous, on parle d’humains, eux remplissent des cases juridiques », renchérit Michel Audibert, 55 ans, gérant de société civile immobilière (SCI) près de Nice, qui a accueilli à plusieurs reprises des exilés. « Quand on les a chez soi, leur détresse est évidente de par les horreurs qu’ils ont vécues, dit-il. Ce sont des jeunes anéantis, qui au bout de quelques jours racontent avoir été entassés à 30 dans une voiture pour traverser le désert libyen, que ceux qui mouraient suffoqués étaient laissés au bord de la route, qu’en attendant les bateaux les passeurs leur balançaient un seau de pâte pour nourrir tout un groupe, qu’ils étaient traités comme des chiens. De toute façon, ils ne peuvent plus rentrer, après avoir impliqué toute leur famille dans leur exil. Et là, on nous dit qu’il faudrait attendre l’accident pour considérer qu’existe un danger ? »
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L’article L622-1 prévoit qu’aider un sans-papier est passible de 5 ans d’emprisonnement et d’une amende de 30 000 euros. Ajouté en 2012, l’article L622-4 liste cependant des exemptions humanitaires. Pour ne pas être condamné, il faut n’avoir touché aucune contrepartie, notamment financière. Mais il faut remplir une seconde condition sur le type d’aide apportée. Il faut avoir fourni des conseils juridiques, une alimentation, un hébergement ou des soins médicaux, « ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui- ci ». L’article ne mentionne pas explicitement le transport.

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