Deux très bons articles ci-dessous de David Nakache, président de l’association Tous Citoyens 06, que nous vous recommandons.
https://davidnakache.blogspot.com/2024/09/nice-chronique-dun-racisme.html
et : https://davidnakache.blogspot.com/2024/09/immigration-lobsession-xenophobe.html
Nice,
chronique d’un racisme institutionnel ordinaire
« Il n’avait qu’à pas venir en France ».
« Il est venu jusqu’ici de Guinée ? Il peut bien passer encore une nuit dehors ».
« Si vous n’êtes pas content, prenez le chez vous ».
L’homme qui m’assène ces propos porte l’uniforme, encouragé par sa collègue, elle aussi en uniforme. Il incarne l’Etat et la République française. Nous sommes le 1er septembre 2024 devant le commissariat Auvare à Nice, et il est policier.
Les échanges se déroulent durant les 5h d’attente, de 20h à 1h du matin, passées à l’extérieur du commissariat, en présence de Mamadou (dont j’ai changé le prénom), Mineur Non Accompagné faisant l’objet d’une Ordonnance de Placement Provisoire (OPP) du tribunal pour enfants ordonnant son placement avant son audience prochaine.
Le Département 06 et la police imposent aux jeunes bénéficiaires d’une décision de placement après recours, de façon totalement inutile, de passer par le commissariat pour être ensuite placés en foyer. L’accueil au commissariat Auvare varie du tout au tout selon les équipes présentes.
Le policier a d’abord refusé de tenir compte de la décision de justice car le jeune, venu seul, la lui a présentée en photo dans son téléphone. Il a fallu que je le rejoigne sur place avec l’OPP imprimée pour qu’il accepte de s’occuper de Mamadou.
Nous avons dû attendre 5h avant que le chauffeur d’un foyer ne vienne le chercher. Le policier a refusé de faire entrer Mamadou dans le commissariat, le laissant à l’extérieur, sous prétexte qu’aucun local, dans tout le bâtiment, n’était disponible.
Échanges très tendus, propos racistes proférés par un agent de l’État, il a fallu parlementer pour parvenir à établir une communication plus respectueuse et, enfin, un semblant de compréhension mutuelle lorsque le policier a peu à peu réalisé que les foyers contactés et le responsable d’astreinte du Département 06 auraient dû et auraient pu faire diligence et ne pas laisser attendre Mamadou la moitié de la nuit pour rien.
Durant ces 5h, nous avons vu défiler une femme en larmes, victimes de violences conjugales, plusieurs personnes devant pointer pour un contrôle judiciaire, un homme voulant déposer plainte, etc. Chacun s’est adressé à une vitre sans tain, ne voyant pas leur interlocuteur, le commissariat Auvare étant en effet équipé d’un guichet fermé, totalement déshumanisant, où l’on ne voit personne de l’extérieur. Chacun a dû raconter les détails de sa situation et de sa vie privée : les violences du mari, le motif de la détention en prison donnant lieu au contrôle judiciaire, etc., sans aucune zone de confidentialité, les réponses des policiers au micro, cachés derrière leur vitre sans tain, résonnant fort dans le silence de la nuit.
Après ces 5h de maltraitance institutionnelle, Mamadou a pu être amené dans un hôtel à Antibes, les foyers étant pleins.
Après ces 5h d’attente, j’ai pu rentrer chez moi, non sans passer devant la plaque commémorative située sur le mur du commissariat, l’ancienne caserne Auvare. Cette plaque rappelle que c’est ici qu’étaient regroupées les personnes arrêtées avant leur déportation à Auschwitz durant l’occupation…
Xénophobie obsessionnelle
Une xénophobie obsessionnelle sature les chaînes d’information continue, les médias et les réseaux sociaux. Elle s’étend par contagion à l’ensemble du débat public.
Fonds de commerce de l’extrême droite, on la retrouve désormais chez les LR et au sein de la macronie, ceux-là mêmes qui prétendaient faire barrage… à l’extrême droite.
Elle se cristallise, en ce mois de septembre post-dissolution, autour de trois thématiques récurrentes :
Le fantasme de la frontière
Contrôler, durcir les contrôles, déployer des drones, traquer, arrêter, refouler, expulser, poser des barbelés, bâtir des murs et des miradors…
Le fantasme de la frontière étanche revient constamment mais se heurte pourtant à la réalité. Les murs de Trump et Orban, le blocus maritimes de Meloni, toutes ces tentatives échouent les unes après les autres. L’Homme a toujours migré et migrera toujours. Murs, barbelés et miradors n’y pourront rien changer. Penser que l’on peut stopper des personnes luttant pour survivre est illusoire. La « fermeture » des frontières a le plus souvent pour conséquence de pousser les personnes cherchant refuge à prendre des risques inconsidérés et à se mettre en danger pour passer. Les décès se multiplient dans la Méditerranée, dans la Manche, comme à la frontière franco-italienne.
Rêvant d’une société fermée et du contrôle permanent des individus, des territoires ont développé une forme de paranoïa institutionnelle où le pouvoir devrait savoir en permanence qui est où, avec qui et pour quelles raisons. Vidéo surveillance, drones, demande de reconnaissance faciale, tout un arsenal technologique est déployé dans ce dessein. La frontière représente alors la clef de voûte de cet univers clos. L’idée même qu’une personne transgresse les interdits et passe la frontière, quelqu’un qui n’a pas de papiers d’identité, pas de visa et qui vient, ici et maintenant, incarner, là, devant vous, la figure de l’étranger, voilà qui est proprement insupportable pour les tenants du tout sécuritaire. Le migrant incarne l’échec de cette volonté de contrôle permanent, l’échec de la techno-surveillance poussée à l’extrême. Et cet échec, pour certains, devient insupportable.
Christian Estrosi, maire de Nice et président de la Métropole Nice Côte d’Azur, a publié un communiqué de presse le 17 septembre dernier demandant le rétablissement des contrôles à la frontière franco-italienne. Il a aussitôt été imité par Alexandra Masson, RN. Michel Barnier, premier ministre LR, a lui aussi évoqué le renforcement des contrôles et les « frontières passoires » de la France.
Tous citent l’exemple allemand et la restauration du contrôle à certaines frontières internes de l’Union Européenne.
Cette demande témoigne d’une méconnaissance totale de la réalité, pour au moins deux raisons :
1. Le nombre d’arrivées d’exilés à la frontière franco-italienne est historiquement bas.
2. Cette frontière interne à l’Union Européenne est en réalité déjà « fermée » et soumise à contrôles depuis 2015. Ces contrôles ont même été renforcés en 2020.
Le fantasme de la frontière, contredit par la réalité, révèle alors toute son irrationalité.
La focalisation sur l’Aide Médicale d’Etat (AME)
Les attaques récurrentes contre l’Aide Médicale d’État touchent à notre humanité la plus profonde : refuser de soigner des personnes malades ou blessées. Quel degré de xénophobie ambiante ou de racisme généralisé faut-il que l’on ait collectivement atteint pour que l’on soit contraint de défendre le fait de soigner une personne indépendamment de son statut administratif ? Sommes nous devenus à ce point inhumains qu’il faille justifier de soigner un malade ?
Bruno Retailleau, à peine nommé ministre de l’intérieur, s’est empressé de réaffirmer sa volonté de déconstruire le dispositif de l’AME.
Supprimer l’Aide Médicale d’État ou la réduire aux situations d’urgence, c’est :
– Attenter à notre humanité : toute personne a droit aux soins, quelle que soit sa situation administrative.
– Attenter à l’éthique et la déontologie des soignants et leur imposer le non-respect du serment d’Hippocrate.
– Créer un risque pour la santé publique en augmentant le risque de contagion
– Augmenter la dépense publique car attendre que les pathologies s’aggravent coûtera plus cher que de soigner les patients le plus tôt possible.
Le débat sans fin sur l’Aide Médicale d’Etat est symptomatique d’une xénophobie ambiante poussant à la déraison collective. Ni le caractère à l’évidence discriminatoire du refus de l’accès aux soins ni le risque de contagion ne semblent plus peser dans le débat. Le nouveau ministre de l’Intérieur adopte une posture purement idéologique et déconnectée du réel.
La surproduction d’Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF)
Le débat sur les Obligations de Quitter le Territoire Français est d’une pauvreté affligeante et une grande confusion est entretenue. Les OQTF visent très majoritairement des étrangers non-délinquants. Or le débat public actuel laisse penser que toute personne sous OQTF est délinquante, ce qui est faux. Nous assistons à une production massive d’OQTF, 130 000 en 2022, dont beaucoup sont inexécutables ou illégales. Cette surproduction génère une saturation des services qui empêche de suivre la minorité de personnes présentant un danger réel pour l’ordre public.
On se focalise à tort sur la non-exécution des OQTF sans regarder le contenu et la qualité des OQTF produites.
Dans les Alpes-Maritimes :
– Nous constatons régulièrement des OQTF mal rédigées, voire bâclées, des erreurs matérielles fréquentes et des copiés-collés grossiers. L’intéressé est mentionné guinéen en début de texte et se retrouve ivoirien trois paragraphes plus bas. Une dame est qualifiée de « Madame » en début de texte mais l’on indique « Monsieur » en fin de document. Les erreurs de dates de naissances ou de dates d’entrées sur le territoire sont récurrentes. Des paragraphes entiers sont copiés d’une OQTF sur une autre alors que l’argument évoqué ne s’applique pas dans le second cas. Etc.
– La préfecture ne tient pas compte des décisions de justice :
– Premier exemple : une personne demande sa régularisation. La préfecture ne répond pas. Un recours est déposé au tribunal administratif et le juge fait injonction au préfet d’examiner la demande. Mais la préfecture ne le fait pas. Le juge, après un examen du dossier au fond, fait injonction au préfet de délivrer un titre de séjour à la personne. Mais la préfecture refuse d’obtempérer. Il faut une troisième décision de justice infligeant une pénalité financière journalière tant que la carte de séjour n’est pas délivrée pour qu’enfin le droit au séjour du demandeur soit respecté. Durant ce long parcours judiciaire, parfaitement inutile et qui peut durer plusieurs mois, la personne concernée, sans papier, est plongée dans la précarité alors que c’est l’administration préfectorale qui n’a pas traité sa demande et a refusé d’obtempérer aux injonctions de la justice.
– Second exemple : le préfet délivre une OQTF à un jeune exilé se déclarant mineur suite à son interpellation à la frontière sur la base d’une « appréciation de minorité » réalisée par un agent de l’Aide Sociale à l’Enfance (service du Département 06) détaché au poste frontière de Menton. Le tribunal administratif casse cette OQTF car « l’appréciation » de minorité ne constitue pas une réelle « évaluation » faite dans le cadre d’une mise à l’abri. Le préfet sait donc que ce type d’OQTF ne respecte pas le droit. Il recommence pourtant. Une seconde OQTF identique est délivrée puis cassée elle aussi au tribunal… puis une troisième, une quatrième… nous en sommes à plus d’une dizaine. Le préfet des Alpes-Maritimes délivre donc sciemment des OQTF illégales. La plupart des jeunes migrants ne déposent pas de recours et leurs droits sont bafoués.
Et l’on voudrait que 100% des OQTF soient appliquées ? Alors qu’une grande partie des OQTF délivrées actuellement sont infondées et illégales et seraient cassées par la justice si elles étaient contestées ? La politique du chiffre et la production systématique d’OQTF génère des atteintes manifestes aux droits et a pour conséquence des drames humains, plongeant les demandeuses et demandeurs dans la clandestinité et la précarité. Mais, plus que cela, la législation accroît sans cesse le pouvoir discrétionnaire des préfets, ce qui est pleinement le cas de la loi asile-immigration. Ainsi les préfets peuvent attenter aux droits des personnes et très peu d’entre elles auront la possibilité d’aller en justice.
Obsession ou stratégie ?
Fantasme de la frontière, focalisation sur l’AME, surproduction d’OQTF, ces thèmes sont la preuve d’une xénophobie généralisée, décomplexée, tournant à l’obsession, qui anime le pouvoir et sature les médias. Bruno Retailleau, Michel Barnier, Emmanuel Macron et Marine le Pen ne parlent pas de « grand remplacement », « d’invasion » ou de « remigration », mais ces thèmes sont les présupposés de leur politique. Les électrices et les électeurs ont pourtant massivement voté pour un front républicain faisant barrage à l’extrême droite. Mais c’est bien une politique d’extrême droite qui est en passe d’être menée.
S’agit-il d’une réelle obsession ou simplement d’une stratégie de diversion pour écarter du débat public les questions de pouvoir d’achat, d’augmentation des salaires, des retraites ou du mal logement ? Sûrement les deux. Et si pour certains il s’agit au départ de faire diversion, la classe politique macroniste, LR, ciottiste, RN et Reconquête semble tellement abreuvée par son propre discours xénophobe qu’elle s’en est convaincue. Tout se passe comme si la xénophobie obsessionnelle s’auto alimentait en permanence. Cette phobie de l’étranger, cette hostilité manifeste envers la figure de l’étranger, infusant l’ensemble de la société, vient apporter un semblant de justification et de légitimité à ce qui n’est autre qu’une politique d’exclusion, xénophobe, si ce n’est raciste.