Vidéosurveillance à Breil : des habitant.es saisissent le tribunal administratif – Nice matin 10/8/24 – Communiqué « Caméras illégales » par Marion Gachet et Cédric Herrou
Communiqué
le 13/08/2024
Caméras illégales à Breil-sur-Roya
Un maire surveille ses administrés en toute illégalité.
Ce délit pénal est passible de 5 ans d’emprisonnement et de 300 000€ d’amende.
Audience au Tribunal administratif de Nice mercredi 14 août à 10h
Par Marion Gachet Dieuzeide et Cédric Herrou
Depuis son élection en 2020, Monsieur le maire Sébastien Olharan a toujours annoncé vouloir équiper la commune de caméras de vidéosurveillance. Le début de son mandat ayant été marqué par le COVID et la gestion de la catastrophe de la tempête Alex (octobre 2020), nous n’avons plus entendu parler de ce projet jusqu’à récemment.
Le 24/04/24, Monsieur Olharan communique sur les réseaux sociaux (1) que “la création d’un réseau de vidéoprotection à Breil sur Roya avance rapidement et sera achevée avant l’été” . Il annonce l’installation de 40 caméras de vidéosurveillance, réparties dans une zone assez étendue (dans le village mais aussi sur les axes routiers éloignés du village). A ce jour (juillet 2024), nous comptabilisons une dizaine de caméras déjà installées dans le village, et « en état de fonctionnement » d’après les dires du maire lors du conseil municipal du 26/06/24 (2) et d’une publication vidéo sur les réseaux sociaux le 29/06/2024 (3) (“[…] il y a déjà aujourd’hui une dizaine de caméras de vidéoprotection qui fonctionnent, qui sont en service […]”). Pourtant, aucun panneau ne signale que l’espace public est sous vidéosurveillance. (4)
Pourtant, le maire le dit lui-même, il n’y a pas de délinquance à Breil. Les statistiques de L’IINSEE et du SSMSI (5) (service statistique ministériel de la sécurité intérieure) montrent que cette commune est dépourvue de délinquance et de trouble à l’ordre public. La seule statistique qui ressort, fort malheureusement, ce sont les « coups et blessures intrafamiliaux » (donc les violences conjugales et familiales), violences intimes et cachées contre lesquelles on ne lutte pas avec des caméras filmant l’espace public. D’autre part, tout le monde sait que plusieurs personnes sont décédées d’overdose dans la vallée ces deux dernières années, un fléau tu et caché par les pouvoirs publics, et qui ne se règle certainement pas avec des caméras.
Habitants de Breil et citoyens inquiets pour la démocratie locale, nous sommes profondément interloqués par ce projet d’installation de 40 caméras dans notre village de 2200 habitants ; cela donne un ratio de 1 caméra pour 55 habitants, bien plus que Nice, ville « modèle » de la vidéosurveillance (6) (où l’on compte environ 1 caméra pour 145 habitants)… Or, légalement, la vidéosurveillance se doit d’être proportionnelle à l’objectif suivi. Si l’objectif suivi est donc la lutte contre les incivilités, ce déploiement est alors complètement disproportionné. Disproportion d’autant plus évidente que la vallée abrite, en supplément des gendarmes locaux, de nombreux gendarmes mobiles, qui font également des contrôles routiers. A-t-on réellement besoin de toutes ces caméras, en plus de tous ces uniformes ?
Nous avons donc cherché lors de quels conseils municipaux ce projet avait été évoqué, pour en comprendre les tenants et aboutissants. A notre grande surprise, nous avons trouvé seulement 2 conseils municipaux qui traitent de ce sujet :
Lors du conseil municipal du 22 mars 2022 (7), le maire a fait ajouter un point à l’ordre du jour dans la section « informations diverses » : il s’agit d’une « demande de subvention pour l’installation d’un système de vidéoprotection » . Pourtant, cela fait des années que ce sujet/projet n’a pas été abordé en Conseil Municipal. Sorti du chapeau à la dernière minute, le maire explique que la demande de subvention doit être remplie avant le vendredi (et le conseil municipal a lieu un mardi…). Dans la vidéo du Conseil, on peut voir des élus amorphes, ne prenant pratiquement pas la parole, ne posant aucune question sur ce projet. Le maire explique tout de même ne pas avoir budgétisé le projet et que, s’étant renseigné auprès d’autres communes, cela devrait avoisiner les « 130 000€ ». Dans le PV de délibération transmis à la Préfecture, il est indiqué que le Conseil municipal a approuvé le principe d’installation d’un système de vidéoprotection sur la commune de Breil sur Roya, la réalisation des travaux, la demande de subvention et a autorisé le maire à entreprendre toutes démarches nécessaires ; cela semble un grand raccourci quand, en réalité, rien n’a été réellement développé et expliqué de vive voix.
Un mois plus tard, lors du conseil municipal du 12 avril 2022 (8), le maire explique son projet de création d’un réseau de vidéoprotection, en précisant bien qu’il ne s’agit pas d’un vote mais d’une présentation du « projet ». Étrange « ordre des choses», puisque la demande de subvention a déjà été faite, sans que le projet soit réellement pensé et dessiné. Pratiquement aucun élu, hormis M. Ipert, ne pose de question quant à la finalité, au budget, aux travaux, à la mise en place ou encore au traitement des données récoltées par ces caméras. Il semblerait que les élus soient totalement désintéressés par le projet.
Au fil de nos recherches, nous avons découvert que la Préfecture des Alpes-Maritimes n’a pas autorisé l’installation de ces caméras de vidéosurveillance, selon le protocole légal en vigueur (9). Nous avons donc saisi le Tribunal Administratif des Alpes-Maritimes pour demander la désactivation des caméras tant que la Préfecture n’aura pas donné son autorisation ; l’audience aura lieu mercredi 14 août à 10h.
Les caméras de vidéosurveillance installées dans l’espace public depuis avril 2024 à Breil sont donc illégales. Selon notre avocat, Maître Alexis FITZJEAN, aussi avocat de l’association spécialisée La Quadrature du Net, il s’agit d’un dispositif « litigieux » manifestement illégal. Cette illégalité est probablement constitutive d’un délit pénal. En effet, le dispositif litigieux constitue un traitement de données à caractère personnel. Or, selon l’article 226-16 du code pénal, le fait, y compris par négligence, de procéder ou de faire procéder à des traitements de données à caractère personnel sans qu’aient été respectés les formalités préalables à leur mise en œuvre prévues par la loi est puni de 5 ans d’emprisonnement et de 300 000€ d’amende.
Il est évident que nous n’avons pas la même vision du bien public que l’équipe municipale de Breil.
La plupart des « incivilités » sont probablement commises par des jeunes, adolescents ou jeunes adultes, délaissés par les pouvoirs publics, dans un village où peu de choses leur sont proposées. Le maire s’alarme d’un tag sur une boîte à distribution de sacs à crottes ; cela justifie-t-il vraiment le déploiement d’un tel système ?
Nous pensons que la vidéosurveillance est un outil matériel répressif et restrictif des libertés publiques.
Nous pensons que 130 000€ investis devrait davantage servir à la création d’une maison des jeunes, à des places en centre aéré pour les adolescents/ des stages de découverte, ou au recrutement d’un.e éducateur de rue pour accompagner ces jeunes. Une caméra est seulement un outil de dissuasion, un investissement à perte pour l’avenir (puisqu’elle va se dégrader, devenir obsolète) ; l’éducation au vivre-ensemble est un outil pérenne et constructif.
Il est intéressant de constater qu’une nouvelle association très active, Graines de Vie, s’est montée avec ce genre d’activités à Breil ; elle a été soutenue d’une subvention de la mairie de 1000€ et la promesse d’une mise à disposition d’un local. C’est ridiculement peu face à 130 000€ de caméras… La commune de Breil abrite une population précaire et en souffrance (14,90 % de chômage et la population de la commune dispose d’un revenu médian de 20 060€, inférieur aux moyennes régionales : cela signifie qu’il y autant d’habitants de Breil qui touchent moins que le SMIC que d’habitants qui touchent au-dessus du SMIC) (10) : la commune a besoin d’un réel projet social, où le bon vivre et la dignité priment. Avant les caméras, des logements salubres, des emplois, des transports et des commerces sont primordiaux !
Alors oui, ces caméras pourront être subventionnées à hauteur de 50 % du budget total par l’État (le fond interministériel de prévention de la délinquance), et une autre partie par le Département. Mais qu’importe l’origine de ces subventions, il s’agit d’argent public ; il ne tombe pas du ciel. L’argent public se constitue de nos contributions, de nos impôts et son utilisation devrait / pourrait être motivée par nos aspirations.
Tous les grands spécialistes et chercheurs dans ce domaine le disent : installer des caméras ne résout rien (11) mais déplace seulement le problème. Dans une vallée comme la Roya, cela montre le peu de cohérence territoriale et de solidarité envers les autres villages.
Mais nous savons qu’il est impossible de vivre à l’encontre de son époque, et que tout est fait pour que ces caméras soient installées, partout sur le territoire français. Nous savons que Breil sera dotée de caméras, comme c’est le projet municipal depuis 4 ans maintenant.
Monsieur Olharan est un bon gestionnaire. Nous n’avons pas les mêmes idées, mais il sait mener ses projets. Il n’a certainement pas conscience de la gravité de la situation, de la grave atteinte aux libertés publiques. Ce qui nous choque le plus, c’est le manque de préoccupation de la part des élus municipaux l’entourant, amorphes et complètement désintéressés. L’installation de 40 caméras est un gros projet, mais il est traité par les élus de façon totalement anecdotique. A aucun moment les élus ne se posent les questions suivantes :
1) Comment fonctionnent ces caméras ; qui les regarde, quand ? Combien de temps restent enregistrées les images ? Comment fait-on pour y accéder ? Quels sont les droits et obligations en termes d’utilisation des images des personnes / données personnelles ?
2) Combien coûte réellement ce projet ; Le maire parle de 130 000€, il a pu aussi parler de 40 000€. Il faut prendre en compte le coût des caméras elles-mêmes, mais aussi le coût de l’installation des poteaux, le branchement à la fibre si nécessaire, les ouvriers, la maintenance, l’achat des écrans de visionnage, les logiciels de traitement des images, etc. D’ailleurs, y a t-il un appel d’offre pour l’achat des caméras ? Comment l’entreprise fournisseuse a-t-elle été choisie ?
3) Que sont les caméras LAPI exactement (caméras à lecture automatisée de plaques d’immatriculation) et que vont-elles « surveiller » ? Quelles infractions routières seront pénalisées ? Par exemple, pourra-t-on recevoir des amendes pour excès de vitesse, mauvais stationnement, défaut d’assurance ou de contrôle technique ? D’autant plus que les caméras LAPI ne sont pas financées par les subventions du FIPD. (12)
Quant à ceux qui penseraient que nous nous « acharnons » sur Monsieur le Maire, notre pensée est très claire ; nous aurions eu tout à fait la même démarche pour n’importe quelle équipe municipale, qu’elle soit de gauche ou de droite. Force est de constater que depuis la tempête Alex, une confiance extrême est accordée aux élus qui peuvent se défaire de certaines obligations, voire se débarrasser du légalisme au détriment du bien public, comme l’ont montré les différentes affaires de détournement d’argent public dans le cadre des chantiers de reconstruction dans la Vésubie. Les citoyens ont peu de moyens pour s’informer, se documenter, voire « surveiller » la démocratie locale. L’utilisation de la vidéosurveillance est un sujet parmi tant d’autres, mais vouloir lutter contre l’illégalité en étant soi-même illégal n’a jamais été une bonne stratégie. La démocratie locale va mal, à nous citoyens et habitants de la vallée de se réveiller !
Sources & documents annexes
(1) Publication facebook du maire : “la création d’un réseau de vidéoprotection à Breil sur Roya avance rapidement et sera achevée avant l’été” httpsD//www.facebook.com/ SebOlharan/posts/ pfbid02pcfek5Vg5DuiDqnD5d9dUnz mJSum7nWL7zha9RRsFSUjRzJkKf hcPBaQJsC6WPoLl
(2) Conseil municipal du 26/06/24 : la vidéo sur le Facebook de la mairie a été récemment supprimée… Et le compte rendu n’est pas encore publié sur le site de la mairie.
(3) Publication vidéo sur les réseaux sociaux le 29/06/2024 : “[…] il y a déjà aujourd’hui une dizaine de caméras de vidéoprotection qui fonctionnent, qui sont en service […]”D httpsD//www.facebook.com/ watch/live/K ref=watch_permalink&v=2 124 233 324 624 479
(4) Sur le site de la CNIL : vidéosurveillance sur la voie publique : “Les personnes filmées dans un espace public doivent en être informées, au moyen de panneaux affichés en permanence, de façon visible, dans les lieux concernés, et doivent être compréhensibles par tous les publics. Ils doivent a minima comporter, outre un pictogramme représentant une caméra qui indique que le lieu est placé sous vidéoprotection […]” : https://www.cnil.fr/fr/la- videosurveillance- videoprotection-sur-la-voie- publique
(5) Délinquance enregistrée au niveau départemental et communal :
(6) https//www.tf1info.fr/ societe/sept-a-huit-life- videosurveillance-les-yeux-de- nice-2 119 699.html
(7) Vidéo du conseil municipal du 22/03/22 : https//www.facebook.com/ VilledeBreil/videos/3 627 981 891 89 773
Compte rendu écrit du Conseil municipal (voir point n°21) : https//www.ville-breil-sur- roya.fr/component/ easyfolderlistingpro/K
view=download&format=raw&data= eNpFj91uwjAMhd_ F91XbsMFmLpl2N2niBVBo3WIpf4rTD Qnt3ZeQXCKuHJ_4f D7W2Pd4E9xcIkzejBRhL_ iyQWCrZ5L2– OzHbwNiaSJ5MZFmsE7ITaNXRwPHLQp lkyBRShWiMCesVvleSFJT_ gO4XS6a6V7qzanLZW2QyhlW1UeH5xs imSCTp fy_ YrQqk6pFTCxoQegVwiqORwPX0p1mzq Sr6FrWl9hnNYUdA0c6Rk179Yp6eFiy eXp8119z45IP0y_NX1ONns_m7zs7x- 4HWMm
(8) Vidéo du conseil municipal du 12/04/22 : httpsD//www.facebook.com/ VilledeBreil/videos/1 135 876 743 844 174
Compte rendu écrit du Conseil municipal (voir point n°14): httpsD//www.ville-breil-sur- roya.fr/component/ easyfolderlistingpro/K view=download&format=raw&data= eNpFj0tuwzAMRO_CvWFb-
bRllgm6K1D0AoFq0w4B_ SDKaYCid68UOciK4ojzONTY9_ gruEeYvBkpwkFwu0Fgq2eS9vP03g7e hkTSRHLjXCLN4J0Q m8YujgcO2hRLpsBcIhQrRODA2K3yvJ CkXCf8BeF8vmule602py2VtkMoZV9V Hh- cbIpkgk6X8r1DaFWn1AqY2NAD0CuET XP8On70qtvWkXwN3dL6CuO0pqBb4Ej PqHm3TkkPF0suT3_f1bfsiHRl- qnpc7LZ-9nkZX uIJjXCc,
(9) Guide « Lutter contre la vidéosurveillance » rédigé par La quadrature du net, où est notamment expliqué le protocole légal à suivre pour permettre l’installation des caméras dans l’espace public (qui n’a pas été respecté à Breil) :
(11) Le monde de la vidéosurveillance est-il efficace ?
https://www.lemonde.fr/les- decodeurs/article/2018/05/17/ la-videosurveillance-est-elle- efficcace_5 300 635_4 355 770.html
Rapport de la cour des comptes de 2011:
Page 7 « Surtout, au-delà de son coût même, c’est le manque d’évaluation de l’efficacité de la vidéosurveillance qui est relevé par la Cour. Les différentes études conduites à l’étranger, notamment au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et en Australie, ne démontrent pas globalement l’efficacité de la vidéosurveillance de la voie publique. La mise en œuvre de ce plan de développement accéléré de la vidéosurveillance de la voie publique aurait dû être précédée d’une évaluation de son efficacité selon une méthode rigoureuse. Cela n’a pas été le cas, et nous manquons d’enseignement sur l’efficacité de la vidéoprotection. C’est une lacune dommageable, notamment au regard du montant des dépenses publiques engagées. »
Laurent Mucchielli Sociologue, spécialiste des politiques de sécurité et directeur de recherche au CNRS :
https//www.radiofrance.fr/ france inter/podcasts/l-interview/ laurent-mucchielli-la- vidéosurveillance-ne-résout- pas-la- delinquance-7 547 933
Son livre « Vous êtes filmés _ – Enquête sur le bluff de la vidéosurveillance » de Laurent Mucchielli : https//www.dunod.com/sciences- humaines-et-sociales/vous- etes-filmes-enquête-sur- bluffe-videosurveillance
(12) Sur le site de la Préfecture, II. Modalités pratiques, point n°5 D « Le financement des équipements de vidéo- verbalisation, prenant la forme notamment de dispositifs de lecture automatisée des plaques d’immatriculation (LAPI) pour permettre la collecte automatique de données concernant les véhicules en infraction, sera automatiquement refusé, car ils ne concernent pas la prévention de la délinquance ;[…] »
https//www.alpes-maritimes. gouv.fr/Actions-de-l-Etat/ Securite-et-protection-de-la- population/Fonds- interministeriel-de- prevention-de-la-delinquance- et-de-la-radicalisation/Appel- a-projets-FIPD-2024
Fichier « Mission d’accompagnement au management de projet : Breil » par les « Petites Villes de demain » : BREIL (2)
Informations sur le sujet :
– Post Facebook du maire de Breil :
Revue de presse :