Décrets Darmanin Loi Immigration JO 14 & 16/7/2024 – Commentaires et explications de Serge Slama, de Zia Oloumi – Interview de Marie-Christine Vergiat (Politis)
Un peu plus d’infamie avant de tourner les talons…
– Voir l’article Droits des étrangers sur le site de Service public ici.
– Lien vers la page du Journal Officiel pour consulter ces décrets sur Legifrance, cliquez ici.
– Publication par l’avocat spécialisé en droit des étrangers Zia Oloumi sur les toutes récentes modifications judiciaires et administratives 
Depuis le 15 juillet 2024 les règles du contentieux des étrangers changent en matière administratif et judiciaire.
Que retenir ?
Quelques avancées :
– des délais plus clairs pour contester les décisions administratives (le dépôt de l’aide juridictionnelle interrompra le delai jusqu’à la décision du bureau d’aide juridictionnelle)
– toutes les OQTF seront désormais avec un délai de recours d’un mois (et non plus de 30 jours) sauf si la personne est détenue ou placé en rétention ou alors assignée à résidence. Voir tableau 



Quelques regrets :
– les personnes placées en rétention peuvent y rester de 4 à 6 jours dès le placement initial au lieu de 2 à 4.
Voir le deuxième tableau 



– les conférences en vision vont se développer et la pratique de notification des décisions du juge non plus à l’audience mais par écrit au centre de rétention (sans présence de l’interprète) vont se généraliser.
Voir la circulaire du 14 juillet 2024
https://www.gisti.org/spip. php?article7328
https://www.gisti.org/spip.
– Excellente analyse de ces derniers décrets publiés in extremis par le gouvernement Attal de la loi/immigration par le juriste professeur de droit Serge Slama dans Bastamag :
#Loi immigration #Droit d’asile #Migrants #Immigration #Droits de l’homme
Marie-Christine Vergiat, ex vice-présidente de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), critique sévèrement la publication de plusieurs décrets relatifs à la « loi Darmanin » votée en décembre, la veille de la démission du gouvernement.
Tristan Dereuddre – 18 juillet 2024
Le lundi 15 juillet, six nouveaux décrets d’application de la loi immigration ont été publiés au Journal officiel, sept mois après son adoption controversée. Une publication intervenue la veille de la démission – acceptée cette fois –, du gouvernement Attal, resté malgré tout en place pour gérer les « affaires courantes ». Marie-Christine Vergiat, ex vice-présidente de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), livre ses impressions sur une situation qu’elle juge « inadmissible ».
Quel impact ces décrets d’application vont avoir sur les personnes immigrées ?
Marie-Christine Vergiat : Les décrets qui ont été signés sont parmi les pires de ce qu’on avait décrié dans le cadre de la loi immigration. Ils vont fragiliser de nombreuses personnes, déjà en situation de vulnérabilité. Un des décrets concerne les possibilités de refus de la cessation matérielle d’asile : si on leur supprime ces conditions matérielles, essentielles, de quoi vont-ils vivre ? Un autre concerne les fameux « principes républicains ». Ce sont des principes très généraux, que l’on peut interpréter un peu comme on veut, avec comme conséquence la délivrance du titre de séjour. Autrement dit, le refus du renouvellement – voire le retrait – de ce titre en cas de manquement caractérisé à ces principes.
On voit bien qui est visé par ces décrets : les personnes de confession musulmane, mais plus largement les populations racisées. Il y a aussi la multiplication des pointages quotidiens pour les personnes assignées à résidence. L’objectif est d’empêcher toute vie personnelle digne pour les personnes concernées. Elles ne peuvent pas travailler, elles sont séparées de leurs familles en raison de l’éloignement du lieu de pointage… Plus on multiplie ces obligations, plus on rend la vie impossible aux personnes concernées.
Enfin, ces décrets sont aussi dangereux parce qu’ils vont multiplier les OQTF, sinon les expulsions. Un des décrets oblige les préfets à prendre des OQTF contre les déboutés du droit d’asile, dans les 15 jours qui suivent la fin de leur droit. On expulse des gens avant qu’ils aient pu faire valoir leurs droits, et qui n’auraient pas dû être expulsés. Les OQTF sont multipliées à tour de bras alors que des personnes n’auraient jamais dû recevoir ces procédures. La France est le pays de l’Union européenne qui en délivre le plus alors qu’on se situe dans la moyenne au niveau des personnes expulsées.
Ces dispositions sont racistes, xénophobes, et islamophobes. On veut toujours pointer du doigt les mêmes catégories de personnes, en faisant des généralités sur les étrangers et les immigrés. Derrière, on ne regarde pas le fait qu’il y a des tas de situations humaines très différentes. On montre du doigt les gens à qui on ne donne aucune chance de s’intégrer. Quand on donne cette chance d’intégration, comme on l’a fait avec les Ukrainiens par exemple, les personnes s’intègrent sans difficulté si on leur donne les bons outils : la possibilité d’avoir un toit, d’avoir un travail, d’accéder à la langue… Les bases d’un accueil digne. Ces décrets sont ciblés sur les demandeurs d’asile, a priori ceux qui ont le plus besoin de protection. Cette situation est inadmissible.
On a un gouvernement en sursis qui multiplie les décrets d’application, la veille de sa démission. Le ministre de l’Intérieur est désormais cantonné aux affaires courantes, mais il publie six décrets qui concernent des mesures particulièrement décriées de la loi immigration. Le gouvernement a été mis en minorité et devrait faire attention. La confiance des Français n’existe plus. Il devrait faire profil bas par rapport à un certain nombre de mesures.
Dans un tweet publié cette semaine, Gérald Darmanin explique que « 2 500 étrangers délinquants ont été expulsés au premier semestre 2024, soit une hausse de 28 % ». Le ministre établit un lien entre immigration et délinquance…
C’est particulièrement malhonnête de sa part parce que c’est faux. Toutes celles et ceux qui travaillent sur ce sujet comme Désinfox-Migrations montrent qu’il n’y pas de lien entre délinquance et étrangers, mais entre délinquance et situation sociale. Avec de telles affirmations, on pousse les Français à croire que les étrangers sont plus criminels. Or, à situation sociale comparable, c’est exactement la même chose ! On sait, en revanche, que les policiers font plus de contrôle sur des délits qui concernent plus les étrangers : vente à la sauvette, conduite sans permis. Il faut ajouter à cela le fait qu’il existe plus de contrôles au faciès, plus de comparutions immédiates, donc des situations où les gens sont jugés dans des dispositions qui ne sont pas tout à fait celles du droit commun.
On sait aussi que les juges ont la main plus lourde et condamne plus facilement. Tout cela explique pour beaucoup la différence entre les deux. Dans les exemples diffamatoires qu’on nous donne, il y a souvent le viol des femmes et l’idée selon laquelle les étrangers seraient plus à même de commettre ces actes. Mais le lien le plus immédiat entre un violeur et la personne violée, dans une immense majorité des cas, c’est le conjoint, l’ex-conjoint, ou un proche de la victime. Ce n’est en aucun cas une question de nationalité, et ça fait partie des arguments qui visent à montrer du doigt les étrangers pour en faire des boucs émissaires.
Emmanuel Macron semble éprouver quelques difficultés à reconnaître le résultat des élections législatives. Quelle est la position de la LDH sur ce refus de rendre le pouvoir ?
On espère une décision rapidement conforme aux élections. Je ne pense pas que ce soit à la LDH de s’exprimer en la matière. Ce qu’on souhaite, c’est qu’il y ait un gouvernement qui soit capable de mettre en œuvre ce qui a été exprimé à la fois par le vote des Français, mais aussi par la société civile, particulièrement dans l’entre-deux tours. La LDH a participé à des initiatives qui amenaient sur la table un certain nombre de propositions.
Tant que l’Union européenne et ses États membres – en particulier l’Italie – continueront de financer les soi-disant garde-côtes libyens, ils auront une responsabilité. Quand on sait qu’ils ramènent à terre des personnes pour les remettre directement dans des camps où les femmes sont torturées, vendues, violées… Ce n’est pas admissible. Un des décrets inscrits au Journal officiel concerne d’ailleurs l’Europe avec le site France Visas, qui permet de délivrer des visas en ligne. Ce modèle facilite des échanges de données entre les différents pays européens, on parle de « frontières intelligentes ». C’est en réalité une multiplication du fichage des personnes, et ça va permettre d’expulser des personnes des pays européens dès lors qu’elles auront été signalées par ces systèmes d’information.
Commentaires par MC Vergiat :
1 – OQTF : obligation pour les préfets de délivrer une OQTF dans un délai de 15 jours pour les déboutés du droit d’asile
2 – Restriction des CMA (conditions matérielles d’accueil) des demandeurs d’asile : suppression du recours administratif obligatoire auprès du directeur de l’OFPRA et transformation de toutes les possibilités de suspension desdites CMA en obligation (cf. présentation des demandes hors délai, informations dites mensongères,..) et suppression des réexamens (à confirmer
3 – Modalités de mise en oeuvre de l’assignation à résidence ou de la rétention des demandeurs d’asile notamment en cas de menaces à l’ordre public
4 – Mise en œuvre du nouveau contrat d’engagement à respecter les principes républicains (modèle de contrat joint au décret avec énumération des sept engagements résultant de la liste figurant dans la nouvelle loi et précisant qu’en cas de non respect le titre de séjour pourra être refusé, non renouvelé ou retiré) – date d’application à compter de la publication.
5 – Augmentation du nombre de pointages quotidiens pour les personnes assignées à résidence en vue de leur expulsion. (https://www.gisti.org/spip.php?article7330)
6 – Compétence unique sauf erreur de ma part du Ministre de l’Intérieur pour les expulsions des personnes dites protégées (et Darmanin a fait des messages sur les RS pour sous entendre que c’est grâce à sa loi qu’il y avait 28 % d’expulsions en plus au cours de ce premier semestre alors que cela relève surtout des consignes données aux préfectures avec comme conséquences l’augmentation du nombre de personnes expulsées sans avoir pu faire reconnaître leurs droits).
7 – le décret sur France Visas va permettre la dématérialisation des demandes de visas mais comporte surtout une aggravation de l’interconnexion des données avec les fichiers européens en cohérence avec le Pacte du même nom
Conséquence : précarisation accrue de nombreuses personnes étrangères dont certaines vont se retrouver du jour au lendemain en situation irrégulière Insupportable