Europe : le pacte de la Honte – petite revue de presse

Petite revue de presse de Charybde en Scylla :

  • Migreurop, « Politiques migratoires, des dispositifs mortels dont l’effet est de tuer pour dissuader », Ă©mission « A l’air libre » de Mediapart, 10/4/24 : https://migreurop.org/article3257.html?lang_article=fr
  • Le Monde, les DĂ©codeurs : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/04/12/comprendre-les-enjeux-du-pacte-migratoire-adopte-au-parlement-europeen_6191094_4355771.html
    • La proposition gĂ©nĂ©ralise les contrĂ´les de police dans le but explicite de prĂ©venir la migration irrĂ©gulière. L’arrĂŞt des individus soupçonnĂ©s d’ĂŞtre sans papiers repose fortement sur le profilage racial.
    • L’article 23a autorise les refoulements internes entre les États membres, les garanties visant Ă  attĂ©nuer leurs consĂ©quences sur les droits fondamentaux introduites par le Parlement Ă©tant supprimĂ©es. Cet article prĂ©voit le « transfert » (expulsion) immĂ©diat des ressortissants de pays tiers apprĂ©hendĂ©s « dans les zones frontalières » vers le pays par lequel ils sont entrĂ©s.
    • La rĂ©forme fait Ă©galement rĂ©fĂ©rence Ă  plusieurs reprises Ă  l’augmentation de l’utilisation des technologies de surveillance et de contrĂ´le aux frontières internes et externes. Des technologies telles que les drones, les capteurs de mouvement, les camĂ©ras thermiques et d’autres facilitent l’identification des personnes traversant les frontières avant leur arrivĂ©e et ont Ă©tĂ© dĂ©montrĂ©es pour faciliter les refoulements.
    • DĂ©claration associations, ONG :
      https://ihaverights.eu/joint-statement-calling-meps-to-reject-schengen-borders-code/
    • https://www.statewatch.org/news/2024/april/the-eu-migration-pact-a-dangerous-regime-of-migrant-surveillance/
  • Le Pacte sur la Migration de l’UE : un rĂ©gime dangereux de surveillance des migrants

    Le 10 avril 2024, le Parlement europĂ©en a adoptĂ© le Nouveau Pacte sur la Migration et l’Asile, un ensemble de rĂ©formes Ă©largissant la criminalisation et la surveillance numĂ©rique des migrants.

    MalgrĂ© les avertissements rĂ©pĂ©tĂ©s des organisations de la sociĂ©tĂ© civile, le Pacte « normalisera l’utilisation arbitraire de la dĂ©tention des immigrĂ©s, y compris des enfants et des familles, augmentera le profilage racial, utilisera des procĂ©dures de ‘crise’ pour permettre les refoulements, et renverra des individus vers des prĂ©tendus ‘pays tiers sĂ»rs’ oĂą ils sont exposĂ©s Ă  la violence, Ă  la torture et Ă  l’emprisonnement arbitraire ».

    Le Nouveau Pacte sur la Migration et l’Asile ouvre une nouvelle ère mortelle de surveillance numĂ©rique, Ă©largissant l’infrastructure numĂ©rique pour un rĂ©gime frontalier de l’UE basĂ© sur la criminalisation et la punition des migrants et des personnes racialisĂ©es.

    Cette dĂ©claration expose comment le cadre du Pacte sur la Migration permettra et, dans certains cas, imposera le dĂ©ploiement de technologies et de pratiques de surveillance prĂ©judiciables contre les migrants. Nous mettons Ă©galement en Ă©vidence certaines zones grises oĂą le Pacte laisse ouverte la possibilitĂ© de dĂ©veloppements prĂ©judiciables supplĂ©mentaires impliquant des pratiques de surveillance intrusive et violente et de traitement des donnĂ©es Ă  l’avenir.

    Le Pacte sur la Migration permet la surveillance numérique des migrants

    Ă€ mesure que des technologies plus intrusives seront dĂ©ployĂ©es aux frontières et dans les centres de dĂ©tention, les donnĂ©es personnelles des individus seront collectĂ©es en masse et Ă©changĂ©es entre les forces de police Ă  travers l’UE, et des systèmes d’identification biomĂ©trique seront utilisĂ©s pour suivre les mouvements des personnes et renforcer le contrĂ´le des migrants sans papiers. Le Nouveau Pacte sur la Migration imposera toute une gamme de systèmes technologiques pour identifier, filtrer, suivre, Ă©valuer et contrĂ´ler les personnes entrant ou dĂ©jĂ  en Europe.

    Ces systèmes renforceront un statu quo dĂ©jĂ  cruel. Les dĂ©cideurs europĂ©ens ont choisi depuis des annĂ©es de traiter principalement le mouvement des personnes vers l’Europe comme un problème de sĂ©curitĂ©. Le rĂ©sultat est un nombre très limitĂ© de voies sĂ»res et rĂ©gulières pour venir en Europe, la criminalisation gĂ©nĂ©ralisĂ©e de nombreux migrants qui entreprennent le voyage, et l’exploitation et la discrimination systĂ©matiques Ă  l’encontre de ceux qui vivent dĂ©jĂ  ici. Investir dans la technologie pour servir ce système dĂ©jĂ  prĂ©judiciable bĂ©nĂ©ficiera principalement aux entreprises technologiques et de sĂ©curitĂ© qui rĂ©coltent les rĂ©compenses financières de cet agenda – tout en poussant les gens vers des routes plus dangereuses et en donnant plus de latitude au profilage racial Ă  nos frontières et dans nos communautĂ©s.

    Voici les principaux moyens par lesquels le Pacte sur la Migration crée un système dangereux de surveillance des migrants:

    Les migrants comme suspects : Un vaste régime de surveillance numérique

    Le Pacte sur la Migration Ă©tend un large système de collecte et d’Ă©change automatique de donnĂ©es, conduisant Ă  un rĂ©gime de surveillance de masse des migrants. Les changements dans le Règlement Eurodac imposeront la collecte systĂ©matique des donnĂ©es biomĂ©triques des migrants (incluant dĂ©sormais les images faciales), qui seront conservĂ©es dans d’Ă©normes bases de donnĂ©es jusqu’Ă  10 ans, Ă©changĂ©es Ă  chaque Ă©tape du processus de migration et rendues accessibles aux forces de police dans toute l’Union europĂ©enne Ă  des fins de suivi et de vĂ©rification d’identitĂ©. L’âge minimum pour la collecte des donnĂ©es a Ă©tĂ© abaissĂ© de quatorze Ă  six ans, avec la possibilitĂ© d’utiliser la coercition si les mĂ©thodes « amicales » pour les enfants Ă©chouent.

    De plus, les procĂ©dures de dĂ©pistage et les procĂ©dures aux frontières nouvellement crĂ©Ă©es (règlement sur le dĂ©pistage) imposeront divers contrĂ´les de sĂ©curitĂ© et Ă©valuations Ă  toutes les personnes entrant irrĂ©gulièrement en Europe, y compris pour demander l’asile, avec un potentiel pour une prise de dĂ©cision automatisĂ©e et basĂ©e sur l’IA. Ces procĂ©dures nĂ©cessiteront que les donnĂ©es personnelles et biomĂ©triques de chaque personne entrant dans l’UE soient vĂ©rifiĂ©es croisĂ©es avec de multiples bases de donnĂ©es policières et d’immigration nationales et europĂ©ennes, ainsi qu’avec des systèmes exploitĂ©s par Europol et Interpol, augmentant la possibilitĂ© de rĂ©pression transnationale des dĂ©fenseurs des droits de l’homme. Les personnes identifiĂ©es comme prĂ©sentant un « risque pour la sĂ©curitĂ© nationale ou l’ordre public » seront orientĂ©es vers des procĂ©dures frontalières accĂ©lĂ©rĂ©es avec moins de garanties pour le traitement de la demande d’asile (règlement des procĂ©dures d’asile et règlement des procĂ©dures de retour aux frontières). Non seulement les concepts de sĂ©curitĂ© nationale et d’ordre public sont des termes dangereusement vagues et non dĂ©finis laissant une grande marge de manĹ“uvre aux États membres, mais ils ouvrent Ă©galement la voie Ă  des pratiques potentiellement discriminatoires dans les procĂ©dures de dĂ©pistage, en utilisant la nationalitĂ© comme un proxy de la race et de l’ethnicitĂ© dans ces Ă©valuations. De plus, mĂŞme les familles avec enfants et les enfants non accompagnĂ©s pourraient ĂŞtre retenus dans des procĂ©dures frontalières, avec un risque Ă©levĂ© d’ĂŞtre de facto dĂ©tenus.

    Dans le contexte des procĂ©dures d’asile, le Pacte permettra des pratiques technologiques intrusives Ă  divers stades du traitement de l’asile. Le Règlement sur les ProcĂ©dures d’Asile prĂ©voit des fouilles accrues des effets personnels, ouvrant la voie Ă  des pratiques envahissantes comme l’extraction de donnĂ©es de tĂ©lĂ©phone portable, qui implique la saisie et l’exploitation des dispositifs Ă©lectroniques personnels (tels que tĂ©lĂ©phone portable ou ordinateur portable) pour extraire des donnĂ©es pouvant ĂŞtre utilisĂ©es pour trouver des preuves pour Ă©valuer la vĂ©racitĂ© de leurs revendications (par exemple, dans une procĂ©dure d’asile) ou vĂ©rifier leur identitĂ©, leur âge ou leur pays d’origine. De telles pratiques envahissantes ont Ă©tĂ© contestĂ©es avec succès en Allemagne et au Royaume-Uni mais continuent d’ĂŞtre utilisĂ©es dans plusieurs pays europĂ©ens. De plus, le Règlement sur les ProcĂ©dures d’Asile permet Ă©galement l’utilisation d’entretiens Ă  distance et de vidĂ©oconfĂ©rences pour les personnes en dĂ©tention et pendant la procĂ©dure d’appel. Cela soulève non seulement des prĂ©occupations en matière de vie privĂ©e et de protection des donnĂ©es, mais cela accentue l’isolement des personnes dĂ©jĂ  dans une situation vulnĂ©rable et risque d’affecter nĂ©gativement la qualitĂ© et l’Ă©quitĂ© des procĂ©dures.

    Gestion technologique des installations carcérales pour les migrants

    Les nouvelles procĂ©dures de dĂ©pistage et de contrĂ´le aux frontières entraĂ®neront la dĂ©tention de plus de personnes, y compris d’enfants et de familles, dans des centres de dĂ©tention de type prison modĂ©lisĂ©s sur les « Centres d’Accès ContrĂ´lĂ© FermĂ©s » dĂ©jĂ  en activitĂ© en Grèce. Ces centres sont caractĂ©risĂ©s par des capteurs de mouvement, des camĂ©ras et un accès par empreintes digitales, constituant un système de gestion numĂ©rique des installations d’immigration qui repose sur une surveillance de haute technologie pour surveiller et contrĂ´ler les personnes. En vertu du Pacte, un minimum de 30 000 personnes devrait ĂŞtre soumis Ă  des « procĂ©dures frontalières » Ă  tout moment, impliquant probablement la dĂ©tention ou des restrictions de mouvement. Au lieu de considĂ©rer la dĂ©tention comme un « dernier recours », le Pacte prĂ©voit de manière alarmante l’expansion de la dĂ©tention Ă  travers l’Europe.

    Profilage racial facilitĂ© par la technologie aux frontières internes de l’UE

    Aux cĂ´tĂ©s du Pacte sur la Migration, d’autres changements lĂ©gislatifs ont lieu dans la politique migratoire de l’UE. La RĂ©forme du Code des Frontières Schengen, prĂ©vue pour ĂŞtre adoptĂ©e le 24 avril 2024, gĂ©nĂ©ralisera les contrĂ´les de police dans le but de renforcer l’application de la lĂ©gislation sur l’immigration, facilitant ainsi la pratique du profilage racial sur le territoire de l’UE.

    Cette nouvelle loi encourage l’utilisation accrue de technologies de surveillance et de suivi aux frontières internes et externes. Des technologies telles que les drones, les capteurs de mouvement, les camĂ©ras thermiques, et d’autres sont utilisĂ©es pour l’identification des personnes traversant les frontières avant leur arrivĂ©e et ont Ă©tĂ© dĂ©montrĂ©es pour faciliter les refoulements.

    Ouverture Ă  l’expansion future du complexe de surveillance des frontières

    Le Pacte sur la Migration repose sur des cadres existants rĂ©gissant l’utilisation de la surveillance numĂ©rique dans la migration. La Loi de l’UE sur l’Intelligence Artificielle introduit un cadre permissif pour l’utilisation de l’IA par les forces de l’ordre, le contrĂ´le de la migration et les agences de sĂ©curitĂ© nationales, fournissant des Ă©chappatoires et encourageant mĂŞme l’utilisation de systèmes de surveillance dangereux sur les plus marginalisĂ©s de la sociĂ©tĂ©.

    Dans ce cadre, combiné avec le Pacte sur la Migration et les nouveaux développements existants en matière de technologie de surveillance, nous pouvons nous attendre à :

    Profilage automatisĂ© et Ă©valuations des risques pour les contrĂ´les de sĂ©curitĂ© et de vulnĂ©rabilitĂ© afin de faciliter prĂ©tendument les dĂ©cisions relatives aux procĂ©dures d’asile, aux Ă©valuations de sĂ©curitĂ©, Ă  la dĂ©tention et au renvoi des migrants. Le Pacte fait allusion Ă  de nombreuses instances oĂą la prise de dĂ©cision basĂ©e sur l’IA peut ĂŞtre utilisĂ©e, comme lors de la procĂ©dure de dĂ©pistage pour Ă©valuer si quelqu’un reprĂ©sente un « risque pour la sĂ©curitĂ© nationale » ou une menace pour « la sĂ©curitĂ© publique », ou pour Ă©valuer le niveau de vulnĂ©rabilitĂ© d’un demandeur d’asile. Non seulement cela peut entraĂ®ner de nombreuses violations des obligations de protection des donnĂ©es et des atteintes Ă  la vie privĂ©e, mais cela viole Ă©galement le droit Ă  la non-discrimination dans la mesure oĂą elles codifient des hypothèses sur le lien entre les donnĂ©es personnelles et les caractĂ©ristiques avec des risques particuliers. L’introduction de l’Ă©valuation automatisĂ©e dans les procĂ©dures d’asile signifiera moins de protections et de garanties, et une divergence supplĂ©mentaire par rapport au principe d’Ă©valuation au cas par cas, individualisĂ©e et basĂ©e sur les besoins dans l’accès Ă  la protection internationale.
    L’utilisation d’outils de prĂ©vision reposant sur des donnĂ©es statistiques biaisĂ©es collectĂ©es sur les entrĂ©es irrĂ©gulières et les demandes d’asile pour tenter de prĂ©dire les mouvements de masse de personnes, et qui peuvent ĂŞtre utilisĂ©s pour informer les actions sur le terrain pour dĂ©courager ou intercepter ces mouvements. Un outil similaire a Ă©tĂ© testĂ© dans le projet Horizon 2020 ITFlows.
    Des dĂ©tecteurs de mensonges qui prĂ©tendent dire si quelqu’un est sincère en analysant les mouvements du visage, qui sont assez dangereux et peu fiables pour ĂŞtre interdits par la Loi de l’UE sur l’IA – sauf dans les contextes de contrĂ´le des frontières et de police.
    Des systèmes de reconnaissance des dialectes et d’autres technologies intrusives utilisĂ©es dans le contexte des demandes d’asile ou de visa, pour Ă©valuer la vĂ©racitĂ© des revendications des demandeurs. Cette technologie, en plus de renforcer un cadre gĂ©nĂ©ral de suspicion envers les personnes en demande d’asile, repose sur des hypothèses non scientifiques et souvent biaisĂ©es, discriminatoires, qui influent sur les dĂ©cisions rĂ©elles ayant un impact Ă©norme et prĂ©judiciable sur la vie des gens. Les technologies de surveillance des frontières telles que l’identification biomĂ©trique Ă  distance dans les zones frontalières, les drones et les camĂ©ras thermiques pour empĂŞcher les traversĂ©es de frontières dans et Ă  l’intĂ©rieur de l’Union europĂ©enne. Bien que certaines technologies de surveillance soient dĂ©jĂ  utilisĂ©es, une large gamme de systèmes est largement testĂ©e dans des projets financĂ©s par l’UE comme FOLDOUT Solution, ROBORDER, BorderUAS, Nestor. Leur utilisation aux frontières internes est encouragĂ©e par le Code des Frontières Schengen.

    Nice matin :

    Le Parlement européen a adopté de justesse ce mercredi une batterie de textes mettant en place une gestion plus européenne de l’asile, mais aussi plus punitive. Dans l’hémicycle, le débat fut électrique, à deux mois des élections. Côté français, seule la délégation macroniste a voté l’ensemble des textes.

     (Belgique).– Ce mercredi peu après 17 heures, les tribunes du Parlement à Bruxelles, d’ordinaire si sages, réservées aux touristes égarés, se sont enflammées : « Ce pacte tue, votez “Non” », ont lancé des activistes, provoquant une interruption de séance de quelques secondes. Des député·es à gauche ont applaudi. D’autres élu·es se sont agacé·es de voir certain·es de leurs collègues soutenir ce brouhaha dans un moment crucial du mandat.

    La mise en garde venue de la société civile n’a pas été entendue : les dix textes soumis au vote, qui composent le pacte « asile et migration » mis en chantier pour certains depuis huit ans à Bruxelles, ont tous été adoptés. Le plus controversé d’entre eux, celui qui se propose de « faire face aux situations de crise et cas de force majeure », a été adopté d’extrême justesse, avec 301 voix (272 contre, 46 abstentions).

    D’après ses partisans, ces textes doivent tout à la fois accélérer les reconduites aux frontières des personnes irrégulières, réduire le délai de traitement des demandes d’asile, ou encore mettre en place un principe de solidarité, dans la répartition des migrant·es au sein du continent.

    « C’est un jour historique », s’est félicitée la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, qui engrange une victoire de taille à quelques semaines des élections, dans un domaine polarisé où les compromis européens sont très difficiles à faire accoucher.

    Illustration 2

    Des manifestants arborent un message sur leurs t-shirts indiquant « Ce pacte tue », dans la tribune des visiteurs du Parlement européen, le 10 avril 2024. Crédit : John Thys / AFP.

    Ce « paquet » avait fait l’objet d’un accord entre Commission, Parlement et Conseil (qui représente les capitales) fin décembre. Il restait encore au Parlement européen à valider ce compromis final. Mais l’issue des votes était devenue plus incertaine ces derniers jours, alors que le dossier migratoire constitue l’un des nœuds de la campagne pour les européennes du 9 juin.

    Sans surprise, la plupart des extrêmes droites ont dénoncé des textes trop laxistes. Tandis qu’à l’inverse, les Écologistes, les gauches critiques et une partie minoritaire des sociaux-démocrates ont critiqué une approche trop punitive de la gestion migratoire, et incompatible avec le respect des droits humains. Beaucoup ont repris les critiques formulées par 161 ONG dans un appel publié mardi, à la veille du vote.

    Ce qui a fait dire à l’eurodéputée belge libérale Hilde Vautmans, lors du débat mercredi en séance, qu’« extrême droite et extrême gauche ont noué un pacte commun pour saper ce projet ». Mais ce bloc contre-nature n’a pas suffi à former une majorité de rejet.

    Les macronistes isolés dans la délégation française

    En début d’après-midi, l’hémicycle s’est livré à un débat électrique, d’un peu plus de deux heures, sur le contenu des dix textes. Surprise : très peu de député·es, même les plus impliqué·es depuis des années, se sont félicité·es du résultat des négociations. Ce qui en dit long, aussi, sur la manière dont les partis traditionnels sont mal à l’aise avec ce sujet qui dope chaque année un peu plus les extrêmes droites.

    « Aucun négociateur n’est pleinement satisfait et les critiques sont légitimes », a euphémisé le socialiste espagnol Juan Fernando López Aguilar, rapporteur du texte le plus critiqué par les ONG. « J’ai des préoccupations et des doutes, je suis en plein dilemme », a résumé la libérale néerlandaise Sophie in ’t Veld, rapportrice d’un autre texte, qui a finalement voté l’ensemble du « paquet ».

    Pour le social-démocrate slovène Matjaž Nemec, un autre rapporteur, « nous l’acceptons avec une grosse boule dans la gorge mais nous prenons nos responsabilités ». Même l’un des commissaires européens chargés du texte, le conservateur Margarítis Schinás, chargé du portefeuille très controversé de la « protection du mode de vie européen », s’est appliqué à minimiser la portée de son propre travail : « L’objectif n’était pas de reconstruire le Parthénon! Mais de trouver des améliorations tangibles au système de gestion des migrations. » En clair : ce serait toujours mieux que le statu quo.

    Il y a des horreurs dans chacun des textes du “pacte”.

    Sylvie Guillaume (PS)

    Du côté des député·es français·es, seule la délégation macroniste, dont Valérie Hayer, a voté sans ciller l’ensemble des dix textes. « Nous enlevons quand même un sujet préféré à l’extrême droite, en nous donnant enfin les moyens de contrôler les migrations, et c’est bien sûr pour cela que les extrêmes droites s’opposent aux textes », avance Fabienne Keller, élue Renaissance, et rapportrice de deux textes.

    Le Rassemblement national a dit non à une grande majorité des dix textes : « L’UE choisit la voie de la faiblesse, celle de l’appel d’air. C’est la submersion et la soumission », a déclaré Jordan Bardella durant le débat. Pour la tête de liste RN, le principe de solidarité, qui obligera tous les États membres à une forme de solidarité avec les pays en première ligne (Italie, Espagne ou Grèce), constitue une ligne rouge. Jordan Bardella agite le spectre d’une « invasion » de migrants dans des villages français.

    Mais cette solidarité, « obligatoire » dans les textes, est aussi « flexible » : elle peut aussi prendre la forme d’une compensation financière versée aux pays de première entrée, ou matérielle (livraisons de bateaux, etc.).

    De son côté, Fabienne Keller en veut surtout aux sociaux-démocrates français d’avoir adopté des « postures nationales » en pleine campagne des européennes : « Raphaël Glucksmann dit qu’il réclame une solution européenne, vraiment solidaire. Mais ce paquet, précisément, propose une solution européenne à un sujet jusque-là géré par les politiques nationales. Il y a une part d’instrumentalisation dans ce discours. »

    Réponse de Sylvie Guillaume (PS), qui a voté contre sept des dix textes : « Il y a des horreurs dans chacun des textes du “pacte”. J’entends qu’on nous renvoie au fait qu’on vote comme l’extrême droite. Mais qu’ils regardent leur nombril en face : en France, la loi asile et migration est passée grâce aux voix du RN. Quand on commence à aller sur ce terrain-là, il faut avoir les fesses un peu propres. »

    Une base biométrique consolidée pour les passages à la frontière

    Les Écologistes et LFI ont votĂ© contre l’essentiel des textes. Damien CarĂŞme, passĂ© des Écologistes Ă  LFI Ă  l’approche du scrutin, a lancĂ© Ă  la tribune : « Ce pacte est la honte de l’Europe. Il est votre honte. […] De Renaissance, j’aurais aimĂ© un sursaut d’humanitĂ©. Des socialistes [en majoritĂ© favorables, au niveau europĂ©en – ndlr], j’espĂ©rais naĂŻvement un sursaut de courage. »

    Parmi les dispositions du texte qui indignent à gauche : toutes les personnes franchissant la frontière seront soumises à un « filtrage » durant lesquelles elles devront effectuer des contrôles de sécurité, d’identification et de santé – période durant laquelle ces personnes seront détenues dans des centres d’accueil, y compris des enfants à partir de six ans qui accompagnent leurs parents, ou des mineurs isolés dans certains cas.

    LFI et les Écologistes ont tout de même apporté leur voix à l’un des dix textes, celui sur la « réinstallation », qui pose les bases de « voies sûres et légales » pour accueillir des réfugiés reconnus par le HCR, le Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations unies (452 voix pour). Et se sont abstenus sur un autre, qui ébauche des normes communes dans tous les États pour l’accueil des demandeurs d’asile, en matière de logement ou de soins de santé (398 voix pour).

    Quant Ă  la dĂ©lĂ©gation LR de Nadine Morano et François-Xavier Bellamy, elle a votĂ© pour trois textes, s’est abstenue sur deux autres, et votĂ© contre le reste. « Il faudra maintenant remettre ce travail en chantier dès le dĂ©but du prochain mandat, sur la base d’une stratĂ©gie […] de lutte sans nuances contre l’immigration illĂ©gale », a dĂ©clarĂ© le tĂŞte de liste LR Ă  l’issue des votes, faisant le pari d’un hĂ©micycle encore plus Ă  droite lors du prochain mandat pour durcir un peu plus ces règlements.

    Les LR ont notamment apporté leur soutien à la réforme d’Eurodac, cette base biométrique qui va enregistrer les empreintes digitales, la photographie du visage et les documents d’identité des personnes migrantes – y compris, donc, pour les enfants dès l’âge de six ans.

    Le rapporteur de ce texte très sensible n’est autre que Jorge Buxadé Villalba, un eurodéputé du parti néofranquiste Vox. Les activistes Laurence Meyer et Chloé Berthélémy avaient décrit, dans une tribune publiée à la veille du vote, le legs colonial dans lequel s’inscrit ce type de fichier, et les biais racistes qu’il pourrait renforcer. Mais le règlement a été l’un de ceux adoptés avec une majorité confortable (404 voix).

    Le RN de Bardella a également voté pour ce texte. Dans la foulée, le parti d’extrême droite français a également voté pour la création d’un système centralisé d’informations relatives aux condamnations judiciaires (414 pour).

    Les troupes de Meloni favorables au « pacte », les autres extrêmes droites contre

    Au-delà de la délégation française, beaucoup d’élu·es n’ont pas hésité à voter contre la consigne de leur groupe politique. Sans doute la preuve d’une certaine fébrilité avant les élections. Chez les sociaux-démocrates, le Parti démocrate italien s’est opposé aux textes – en partie parce que Giorgia Meloni, la cheffe du gouvernement post-fasciste, a décidé, elle, de soutenir ce pacte. Tout comme la délégation PS-Place publique, les socialistes belges, certains sociaux-démocrates portugais ou néerlandais.

    Au sein du groupe des conservateurs radicaux de l’ECR, si les Italien·nes de Fratelli sont pour (« Ce sont quelques petits pas, dans le bon sens, de petits pas, mais importants », a hésité Nicola Procaccini, sans donner l’air de trop y croire), les Polonais de Droit et justice (PiS), eux, ont choisi de voter contre (« Nous ne pouvons pas éteindre un incendie en y ajoutant de l’huile », a martelé l’ex-première ministre Beata Szydlo). La N-VA flamande, autre poids lourd du groupe, n’a voté qu’une petite partie des textes, tout comme les néofranquistes espagnols de Vox, ou encore Nicolas Bay, le seul élu Reconquête qui siège au Parlement.

    Du côté des non-inscrits, le Fidesz, le parti ultra-conservateur de Viktor Orbán, s’est aussi opposé aux textes (« La bureaucratie de l’UE et la gauche européenne n’ont pas tiré les leçons de leurs erreurs et veulent nous imposer la politique migratoire », a déploré Kinga Gál, faisant mine d’oublier que la Hongrie a bien donné son accord au compromis final, en décembre). Et le Mouvement Cinq Étoiles (M5S), lui, s’est aussi opposé au texte, mais pour une raison opposée – parce que le mécanisme de répartition des migrant·es proposé n’est à ses yeux pas assez contraignant.

    Le débat du jour fut aussi l’occasion de quelques passes d’armes, qui soulignent l’imminence d’un scrutin européen. Il y eut par exemple un échange musclé entre la députée allemande Özlem Demirel (Die Linke, gauche radicale) et son compatriote écologiste Erik Marquardt (Grünen) : les deux ont voté contre le « paquet », mais la première lui a rappelé que le congrès des Verts allemands, lui, avait défendu ces mêmes textes, tout comme la ministre allemande des affaires étrangères, l’écologiste Annalena Baerbock.

    De la mĂŞme façon, des conservateurs nĂ©erlandais ont tempĂŞtĂ© contre la « coalition très sombre entre Geert Wilders [le dĂ©putĂ© anti-migrants sorti en tĂŞte des dernières lĂ©gislatives – ndlr] et Frans Timmermans [social-dĂ©mocrate – ndlr] qui s’est formĂ©e contre ce pacte aux Pays-Bas ».

    Plusieurs député·es à la tribune ont enfin relevé que ce « pacte » serait très difficile à mettre en œuvre. D’abord parce que le volet financier des textes est l’une des grandes inconnues. Aussi parce que la transposition aura lieu au cours des mois à venir, alors que la Hongrie, puis la Pologne, et enfin le Danemark, vont occuper la présidence tournante du Conseil, à tour de rôle pendant six mois. Il n’est pas certain que ces trois États, plutôt voire très critiques du « pacte », fassent de son application une priorité à l’agenda.