Illégalité des contrôles d’identité opéré par les Sentinelles en Roya
Communiqué commun du 07/12/2023
Des Conseils d’Administration d’Emmaüs Roya, de Anafé, du Groupe Accueil et Solidarité (GAS) et de Roya citoyenne :
Illégalité des contrôles d’identité opéré par les Sentinelles en Roya
Mardi 21 novembre 2023, Cédric Herrou, co fondateur et salarié de l’association Emmaüs Roya, livrait sur les réseaux sociaux une vidéo devenue virale. Il y met en lumière une pratique illégale mais dont les habitants de la vallée de la Roya sont pourtant témoins au quotidien : des militaires de l’opération Sentinelle procédant à des contrôles d’identité et à des interpellations de personnes exilées présentes dans la vallée. Ce constat du détournement par le ministère de l’intérieur des personnels des armées pour suppléer les forces de police a suscité beaucoup de réactions d’indignation.
À notre grand regret, ce n’est pas le cas du nouveau Préfet des Alpes-Maritimes qui, en réponse, a posté sur les réseaux sociaux un court texte dans lequel il reproche à Cédric Herrou “d’organiser la désinformation”.
Les membres de nos associations jugent la formule grave.
D’une part, il ne s’agit pas de désinformation. Le travail de terrain et les observations des différentes associations, juristes et avocats spécialisés sur la question depuis de nombreuses années attestent la véracité de ce que montre cette vidéo : Les militaires de l’opération Sentinelle sont utilisés illégalement pour des missions de contrôle et d’interpellation à la frontière franco-italienne. D’autre part, nous considérons que le choix du verbe “organiser” est pervers dans ce qu’il induit; alors que Cédric Herrou n’est finalement qu’un citoyen, habitant de la vallée Roya, qui réagit spontanément face à l’illégalisme d’État devenu quotidien, que nous sommes nombreux à considérer comme insupportable. Ces propos tenus par un représentant de l’État décrédibilisent au final l’institution plutôt que les actions des militants, les images filmées parlant d’elles-mêmes.
Ce qui est certain, c’est que cet illégalisme d’État instauré aux frontières est quant à lui organisé, financé, équipé et systématisé par la politique ministérielle engagée ici depuis 2015. Ce que tant de personnes, qu’elles soient citoyennes, militantes associatives, juristes, avocates, élues, hautes fonctionnaires dénoncent continuellement sur la situation à la zone frontière, c’est notamment :
– Le rétablissement illégal du contrôle aux frontières selon le code frontière Schengen (condamnation en avril 2022 de l’État autrichien pour ce motif par la CJUE) ;
– Les garanties appliquées aux frontières intérieures terrestres en cas de refus d’entrée pratiquée par l’État français jugée insuffisantes par la CJUE en septembre 2023 ;
– L’atteinte grave à la liberté fondamentale que constitue le droit d’asile à la frontière franco-italienne pour les personnes exilées (des centaines de condamnations de la Préfecture par le tribunal administratif de Nice) ;
– Des Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF) délivrées à des mineurs pour les contraindre à retourner en Italie en leur niant tout droit à un recours juridique et ainsi éviter à la fois leur prise en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance française et leur non réadmission par l’Italie ; Tout cela en contradiction totale avec la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. Le tribunal administratif de Nice a annulé plusieurs de ces OQTF car la procédure « d’appréciation » de la minorité est réalisée hors de tout cadre légal ;
– L’enfermement de personnes exilées plus de 12 heures dans des conditions indignes au sein de conteneurs servant de lieux de privation de liberté sans cadre légal puisque espaces maquillés en « lieux de répit », ce dont atteste la Contrôleuse Générale des Lieux de Privation de Liberté dans plusieurs rapports, dont le dernier date de septembre 2018.
– La Cour des Comptes a pointé en septembre 2022 un détournement des forces militaires au travers de l’opération Sentinelle déployées sur des missions qui relèvent de l’intérieur.
Concernant plus particulièrement la vidéo de Cédric Herrou : un militaire n’est pas autorisé par la loi à procéder à la vérification d’identité d’une personne, sauf s’il est encadré par un Officier de Police Judiciaire (conformément aux dispositions du code de procédure pénale).
Depuis la diffusion de la vidéo par notre salarié, de nombreux juristes, avocats et des articles de presse ont confirmé publiquement que les militaires ne sont pas habilités à procéder à des interpellations et encore moins à des contrôles d’identité. Nous saluons d’ailleurs le travail de vérification effectué par le journal Libération dans son article CheckNews du 22 novembre 2023.
Au-delà de ces considérations juridiques et légalistes, nous sommes témoins d’une dérive du pouvoir exécutif ne respectant plus le droit, mettant à défaut les fondamentaux des valeurs républicaines. Des vallées, des territoires ne devraient pas être exclus de la cohésion nationale à des fins politiques. Au-delà de notre position sur la question de la gestion migratoire, nous lançons l’alerte afin que nos concitoyens puissent vivre sur l’ensemble du territoire en jouissant de l’État de droit, sans exception, afin que les habitants puissent vivre et éduquer leurs enfants sans avoir la vision quotidienne de contrôles au faciès dans les gares et les trains ; sans avoir à justifier quotidiennement de leur identité lors de contrôles systématiques ; sans être témoins de violations de droits envers des personnes racisées. L’éducation de la population par l’exemplarité des pouvoirs publics ne devrait pas être à quémander !
Nous laissons à chaque personne lectrice de ce communiqué le soin de vérifier ces informations et de juger ensuite qui organise l’illégalisme et la désinformation quotidiennement afin d’accomplir des directives gouvernementales absurdes, inhumaines et inefficaces.