Retranscription de la question du sénateur Arnaud (Hautes-Alpes) à Darmanin 8/11/23, suite décision C.E.
M. Jean-Michel Arnaud. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer ; elle s’inscrit aussi dans le cadre de l’examen, en cours, du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration par notre assemblée. L’article 78-2 du code de procédure pénale dispose que toute personne peut être contrôlée dans une zone de vingt kilomètres en deçà de la frontière terrestre de la France avec les États de l’espace Schengen. Ainsi, un étranger qui arrive en France sans en avoir l’autorisation ou sans disposer des documents nécessaires pour s’y établir s’expose à un refus d’entrée sur le territoire et peut être placé en zone d’attente, le temps pour l’administration d’organiser son retour. Cette procédure, qui dure quelques heures seulement, parfois jusqu’à vingt-quatre heures, avait fait la preuve de son efficacité. Pourtant, dans un arrêt du 21 septembre dernier, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a estimé que la France ne peut pas procéder au refoulement vers un pays voisin d’une personne migrante entrée illégalement sur le territoire sans que celle-ci puisse bénéficier d’un certain délai pour le quitter volontairement. Cet arrêt se traduira, sur le terrain, par la mise en place d’une procédure administrative de réadmission, qui impose de respecter ce délai, ce qui va à l’encontre du message de fermeté et d’efficacité proclamé par le Gouvernement, ainsi que par notre assemblée. Cette décision de la Cour de justice de l’Union européenne court-circuite le droit national et nos procédures administratives, dans un contexte où la gestion des flux migratoires est très problématique. Je le constate dans mon département, les Hautes-Alpes, où les migrants passent régulièrement entre l’Italie et la France, via notamment les cols de l’Échelle ou de Montgenèvre. Malheureusement, ni l’accueil des migrants ni la surveillance frontalière ne sont à la hauteur de nos exigences démocratiques. Comment l’État prendra-t-il en compte la décision de la CJUE, alors que nous discutons actuellement un projet de loi sur l’immigration ? ( M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer. M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Monsieur le sénateur, comme vous le savez, à la demande du Président de la République, nous avons expérimenté dans votre département des Hautes-Alpes, ainsi que dans celui des Alpes-Maritimes, une nouvelle façon de tenir la frontière, en renforçant les moyens de manière très importante et en instaurant un commandement unique pour l’ensemble des forces de tous les ministères qui contribuent à la protection de cette frontière. Ce dispositif est très efficace, puisque les non-admissions et les retours dans les pays d’origine ont augmenté de 70 % depuis le début de cette expérimentation, le 1er juillet dernier, tandis que plus de 60 000 refus d’entrée ont été prononcés depuis le début de l’année. Dans la mesure où c’est le Conseil d’État qui avait saisi la Cour de justice de l’Union européenne dans le cadre d’une question préjudicielle – celle que vous évoquez –, c’est à lui aussi qu’il revient désormais d’interpréter la décision de la CJUE. Contrairement à ce que j’ai parfois pu lire, cette décision permet aux États européens de rétablir des contrôles aux frontières intérieures : c’est ce que nous faisons depuis 2015 et que nous continuerons à faire en raison de la menace terroriste très forte, en particulier dans la perspective des jeux Olympiques et Paralympiques l’année prochaine. Il est donc possible d’organiser des contrôles aux frontières intérieures. Tel était l’objet de la question préjudicielle, puisque le Conseil d’État avait été saisi par plusieurs associations militantes. Désormais le Conseil d’État doit nous indiquer comment il convient de mettre en place un système de retenue avant que les gens repartent spontanément dans le pays dont ils ont traversé la frontière – l’Italie, dans le cas qui vous concerne, monsieur le sénateur. Nous espérons que le Conseil d’État donnera la possibilité à la police de ne pas se trouver engoncée dans des procédures administratives ou judiciaires, et décrira un système s’apparentant à la garde à vue, ce qui serait sans doute une lecture un peu restrictive de la décision de la CJUE. En tout cas, le ministère de l’intérieur espère convaincre le Conseil d’État, qui devra nous préciser comment les policiers et les gendarmes peuvent travailler. Nous pensons que le droit européen est tout à fait compatible avec ce que nous faisons, notamment dans le cadre de l’expérimentation que nous menons depuis le 1er juillet, c’est-à-dire un travail en commun de tous les ministères, afin de procéder à des refus d’admission aussi rapides que possible dès qu’une personne pénètre irrégulièrement sur le territoire national. J’attends donc avec confiance la décision du Conseil d’État. Oui, nous pouvons réaliser des contrôles intérieurs et refuser des admissions : espérons que nous pourrons le faire dans un cadre aussi simple que possible pour les policiers. M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, pour la réplique. M. Jean-Michel Arnaud. Je vous remercie pour votre réponse, monsieur le ministre. Nous attendons donc la décision du Conseil d’État. Je me permets d’appeler votre attention sur deux points relatifs à la frontière avec l’Italie dans mon département. Tout d’abord, il est nécessaire d’accompagner dignement les personnes migrantes qui franchissent la frontière : elles sont actuellement accueillies dans des bungalows à 1 850 mètres d’altitude. Ensuite, il convient de renforcer durablement le contrôle à la frontière italienne, notamment dans sa partie centrale, avec un escadron de gendarmerie permanent : celui-ci est indispensable pour garantir l’efficacité des efforts de nos services. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains) M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement. |