Nice matin 10/8/22 « la frontière italienne sous haute surveillance »

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« Les passeurs ne manquent pas d’imagination »:

reportage à la frontière italienne,
sous haute surveillance
pendant l’été

CRS, PAF, militaires de Sentinelle, gendarmes… Ils sont mobilisés 24h/24, sept jours sur sept pour contrôler les points de passage des étrangers en situation irrégulière. Reportage.

 

Des barnums blancs, des séparateurs de voie. Mais surtout, des hommes en gilets fluo jaune. Et un autre, avec une vision globale sur tout le dispositif: en mains, une « arme longue » (1).

Ça, c’est le comité d’accueil au péage de la Turbie, sur l’autoroute A8, dans le sens Italie-France.

Dans les zones montagneuses de la bande frontière, ce sont des « Sentinelles » du 27e bataillon de chasseurs alpins qui patrouillent, de jour comme de nuit.

Les points fixes comme Saint-Ludovic, la sortie d’autoroute ou encore la vallée de la Roya, sont également surveillés comme le lait sur le feu, cette fois par trois escadrons de gendarmerie mobile. Enfin, tous les trains sont inspectés et contrôlés à Garavan…

« Tous les camions de 5h à 10h »

Depuis la fin du mois de juillet, face à un volume des flux migratoires en constante augmentation, selon les chiffres relevés par la préfecture des Alpes-Maritimes (lire par ailleurs), le ministre de l’Intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, a demandé au préfet, Bernard Gonzalez, de mettre le paquet. C’est fait.

« La CRS 59, d’Ollioules, est au péage de la Turbie en permanence, à Menton Garavan, c’est la CRS 57 de Carcassonne. Et la CRS 11, de Lambersart, près de Lille, est arrivée le 4 août comble les horaires », entame le commissaire divisionnaire Jean Gazan qui coordonne les forces à la « frontière ».

Ce mardi matin, au péage de la Turbie, où transitent chaque jour environ 3.000 poids lourds, ils étaient une quinzaine d’hommes sur le dispositif.

« De 5 heures à 10 heures du matin, tous les camions sont contrôlés », indique le lieutenant Ulrich Colin, commandant par intérim de la CRS 11. Tous. Sans exception.

Après 10 heures, la canicule dissuade les passeurs d’utiliser cette méthode. Les contrôles de poids lourds sont aléatoires. En apparence, en tout cas.

« On regarde par exemple, si le plomb est toujours en place. Et surtout, on se base sur deux points: analyse et renseignements », précise le commissaire divisionnaire Gazan.

Depuis le début de l’année, les opérations concluantes ont concerné 326 poids lourds et 187 chauffeurs ont été auditionnés.

« Les trois quarts des chauffeurs ne sont pas au courant qu’ils convoient des migrants », assure le coordonnateur.

Des filières de passeurs organisées

De véritables filières sont démantelées. Une d’ailleurs est sur le point de « tomber » à l’issue d’une enquête conjointe avec l’Italie.

« Une filière, ce sont des rabatteurs, des passeurs, et ceux qui hébergent. Ils sont de plus en plus organisés », souffle Jean Gazan. Il y a peu, ils ont aussi démantelé une filière « tunisienne » à L’Ariane.

« Une famille de 6 ou 7 personnes qui faisait aussi du trafic de stup et de cigarettes ». Les passeurs se diversifient, certains dans le trafic d’êtres humains: « Ce sont des Nigérians, constitués en gangs, avec des codes très durs. Ils font passer des jeunes femmes africaines destinées à la prostitution, notamment sur Marseille, Paris et Lyon mais aussi sur Nice ».

« Depuis le début de l’année, nous avons interpellé 443 passeurs, 17.866 étrangers en situation irrégulière », détaille le patron du dispositif.

En 2021, ce chiffre est monté à 30.000. Il prédit: « On va encore l’atteindre cette année ».

Des migrants entassés dans le coffre

Entre les séparateurs de voie, les CRS inspectent les véhicules « repérés » par les hommes tankés au plus près de la barrière de péage.

« À cette heure-ci on se concentre sur les camionnettes, les bus, et les camping-cars« , commente Ulrich Collin. Ils appellent cela du « slow fast »… a contrario du go fast, la méthode utilisée par les trafiquants de drogue, pour passer les contrôles à vive allure.

« Les passeurs ne manquent pas d’imagination. Je parlais d’analyse et de renseignement tout à l’heure… Il y a quelque temps, nous ciblions les femmes, parce que nous avons eu des informations qui allaient en ce sens. Nous avons appréhendé deux femmes qui entassaient des migrants dans leur coffre. Elles avaient fait passer au moins une centaine de migrants », raconte Jean Gazan.

« 200 euros pour Nice »

Derrière lui, un couple s’exécute, ouvre son coffre et les portières de son mini-van. Puis une camionnette et encore un break. Sur le bas-côté, une voiture qui a servi à passer des migrants est passée au peigne fin en présence du conducteur menotté.

« Ils cherchent par exemple s’il a caché de l’argent », explique le commissaire divisionnaire. L’argent, le moteur de ces exploiteurs de la misère humaine… Plus la pression des forces de l’ordre s’accentue, plus les tarifs augmentent.

« Pour aller jusqu’à Nice, c’est entre 150 et 200 euros actuellement, jusqu’à Marseille, 350 euros au moins. Et pour une dépose au bord de l’autoroute, c’est 50 euros », détaille-t-il. Ajoutant: « Nous n’interpellons jamais un étranger sur l’autoroute, pour sa sécurité et celle de nos hommes ».

Les forces de l’ordre, sur le qui-vive, s’attendent à des tentatives de passages en masse dans les prochains jours.

« Lorsqu’il y a une grosse arrivée à Lampedusa, nous avons le contrecoup une quinzaine de jours après« , décrypte le lieutenant Collin qui, avec sa compagnie a fait de la LIC – la lutte contre l’immigration clandestine – partout en France. Notamment à Calais.