Le Monde du 8.8.20 : « Migrants à la frontière italienne : on ralentit le voyage, mais on ne l’empêche certainement pas »

« Migrants à la frontière italienne : on ralentit le voyage, mais on ne l’empêche certainement pas »

https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/07/08/migrants-a-la-frontiere-italienne-on-ralentit-le-voyage-mais-on-ne-l-empeche-certainement-pas_6045583_3224.html?fbclid=IwAR13feQK9JM9o-Eo_OWbLw1YKfGNy78dNct39Q8EDEPWIrUf0Jz2-z1YX-g

Article du Monde en téléchargement : Le Monde_8.07_Migrants à la frontière italienne_ On ralentit le voyage mais on ne lempêche certainement pas

Le « manège » a très vite repris. Passé la période de connement, les gens se sont remis en
mouvement. A la frontière franco-italienne, les personnes migrantes ont de nouveau entrepris de
passer en France, par le train, en voiture ou en camion, essayant de tromper une surveillance
policière rodée au « manège », donc. C’est, avec ironie, le terme que choisit un militant associatif pour
désigner les va-et-vient qu’il observe ce mardi 7 juillet devant le poste de la police aux frontières (PAF)
de Menton (Alpes-Maritimes). Il participe à une mission d’observation menée par plusieurs
associations (Amnesty International, la Cimade, Médecins du monde, Médecins sans frontières et le
Secours catholique) pour documenter les pratiques des autorités. Chaque jour, des migrants
interpellés à leur arrivée en France sont conduits à la PAF puis refoulés quelques mètres plus loin, en
Italie. Jusqu’à ce qu’ils retentent leur chance.
Lundi, 38 personnes ont ainsi été renvoyées en Italie, et 45 le lendemain. Djilani (le prénom a été
modié) a été interpellé vers 17 heures lundi à la gare de Tende. Ce Tunisien a passé la nuit dans les
locaux préfabriqués attenants à la PAF de Menton. Pourtant, jure-t-il à sa sortie, il ne souhaitait pas se
rendre en France. « J’avais pris un train depuis Turin pour rendre visite à un cousin à Vintimille », dit-il.
Se jouant des frontières, la voie ferrée serpente jusqu’à la côte méditerranéenne en traversant un
bout de territoire français. Djilani a eu beau montrer son billet de train Turin-Vintimille aux policiers
qui l’ont contrôlé, il a dû descendre à quai et s’est vu notier un refus d’entrée sur le territoire. « Je
travaille dans l’agriculture en Calabre depuis un an et demi et j’ai déposé une demande de régularisation
le 2 juillet », proteste-t-il, documents à l’appui.
Lire aussi | Migrants : les pratiques douteuses de deux policiers des Hautes-Alpes
Kasahuan, un Erythréen de 33 ans, a lui aussi passé la nuit dans les locaux de la PAF, après avoir été
arrêté à la gare de Menton lundi en n de soirée. D’après le document de refus d’entrée que lui a remis
la police, il n’était pas détenteur d’un document valide pour voyager. Pourtant, le jeune homme est
réfugié en Italie et a présenté aux policiers son titre de séjour, valable jusqu’en 2025. Il devrait pouvoir
circuler dans l’espace Schengen. Sollicitée, la préfecture des Alpes-Maritimes n’a pas donné suite.
Inertie
« Les droits des personnes ne sont pas respectés », dénonce l’avocat niçois Ziad Oloumi, qui a
notamment défendu l’agriculteur Cédric Herrou, gure militante de la toute proche vallée de la Roya,
qui œuvrait pour l’accueil des migrants lorsque ceux-ci s’enfonçaient dans l’arrière-pays pour déjouer
les contrôles. A la même époque, Martine Landry, autre gure locale, bénévole à Amnesty
International, était poursuivie pour avoir facilité l’entrée sur le territoire de deux mineurs guinéens
en juillet 2017. Elle expliquait les avoir accompagnés une fois en France pour solliciter la protection de
l’aide sociale à l’enfance. Agée de 76 ans, Martine Landry devait être jugée en appel mercredi, après
avoir bénécié d’une relaxe en première instance. La veille du procès, le parquet s’est nalement
désisté.
L’époque des arrivées massives de migrants et des porte-étendard semble aujourd’hui révolue. Mais
les acteurs de terrain continuent de dénoncer les refoulements illégaux. Saisi en urgence, le Conseil
SOCIÉTÉ • IMMIGRATION ET DIVERSITÉ
Migrants à la frontière italienne : « On ralentit le voyage,
mais on ne l’empêche certainement pas »
Depuis le déconfinement, les passages vers la France reprennent. Tous les jours, la police
refoule des dizaines de migrants en Italie.
Par Julia Pascual • Publié aujourd’hui à 10h36
08/07/2020 Migrants à la frontière italienne : « On ralentit le voyage, mais on ne l’empêche certainement pas »
https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/07/08/migrants-a-la-frontiere-italienne-on-ralentit-le-voyage-mais-on-ne-l-empeche-certainement-pas_… 2/3
d’Etat doit notamment se prononcer sous peu sur le cas d’une femme centrafricaine accompagnée de
son enfant, refoulée en Italie le 14 mai, alors qu’elle souhaitait demander l’asile en France.
Maurizio Marmo ne cache pas son dépit. Le directeur de l’ONG Caritas à Vintimille, commune
italienne où les migrants font étape avant la France, fait un constat d’inertie depuis que Paris a rétabli
des contrôles aux frontières il y a cinq ans. « Je suis déçu que le gouvernement français poursuive une
action inefficace. On ralentit le voyage, mais on ne l’empêche certainement pas », croit-il.
Lire aussi | La France condamnée pour des traitements dégradants à l’encontre de
demandeurs d’asile
Depuis que l’Italie se déconne, M. Marmo a vu arriver les migrants en provenance de Sicile ou, pour
ceux ayant emprunté la route des Balkans, de Trieste. En revanche, depuis le 18 avril, dans le contexte
de crise sanitaire, le camp de transit de la ville, ouvert par les autorités en 2016, n’accepte plus de
nouveaux arrivants, les repoussant à la rue.
Sur la plage de galets de la ville, une poignée de mineurs afghans se rafraîchissent au bord de l’eau.
Arrivés il y a quelques jours, ils attendent une opportunité de passage. Parmi eux, Hotak Parvez. A
16 ans, le garçon a déjà travaillé cinq ans à Istanbul dans une usine textile, avant de prendre, seul, la
route de l’Europe. Il a mis un an à rejoindre l’Italie. Désormais, il veut se rendre « là où on [lui]
donnera des papiers ».
Tous les soirs, l’ONG Kesha Niya Kitchen distribue des repas sur un parking de la ville et sous la
surveillance rapprochée de la police italienne. Taouk, originaire d’Algérie, n’a pas d’autre moyen
pour se nourrir. Arrivé à Vintimille il y a cinq mois, il « aurai[t] dû aller en France direct, explique-t-il.
A cause du coronavirus, [il est] resté et [a] ni par demander l’asile, mais [va] partir ». « Il n’y a pas de
boulot ici », justie-t-il. Pour avoir quitté un centre d’accueil des Abbruzzes où l’administration l’avait
orienté, Taouk a perdu le droit à toute aide. Il veut désormais passer en France. « Il y a une
communauté là-bas, je parle la langue, j’aurai des opportunités. J’ai 37 ans, je ne peux plus attendre. »
« Boulots au noir »
A Vintimille, tous les migrants n’ont pas la frontière en ligne de mire. Certains espèrent autre chose
ou n’espèrent plus rien. « Je vais finir par me suicider ici, prévient Muhammad Shaq. J’ai cinq enfants
et tous les jours ils m’appellent pour que je leur envoie de l’argent. » Ce Pakistanais de 45 ans a déjà vécu
cinq ans en Allemagne mais, débouté de sa demande d’asile, il a déposé une nouvelle demande de
protection en Italie, en mars. S’il est à Vintimille, c’est « parce qu’il y a un endroit où dormir », cone-til en désignant, au loin, un bâtiment de bureaux désaecté, sans eau ni électricité.
A l’intérieur, dans l’une des pièces occupées, un Nigérian de 24 ans demeure allongé sur un lit de
camp. Le regard perdu dans le vague, il assure vivre à Vintimille depuis six ans. « Il passe ses journées
au lit », dit Muhammad Shaq. Lui se bat pour trouver du travail. « On nous propose que des boulots
au noir payé cinq euros de l’heure », s’indigne-t-il. Il a brièvement cru à une issue lorsque le
gouvernement italien a adopté un décret-loi en mai, dans le contexte de crise sanitaire, permettant de
régulariser les personnes présentant un contrat dans l’agriculture ou l’aide à domicile. Mais il a
rapidement été déçu. « Des employeurs nous demandent 10 000 euros pour signer un contrat », conet-il.
Lire aussi | Après la crise due au coronavirus, l’accès au logement des réfugiés sous tension
Attirés par ce qu’ils croient pouvoir être la n d’une errance, des migrants viennent en Italie dans
l’espoir d’accéder à une régularisation. C’est le cas de Samir, 25 ans. Alors qu’il vit depuis deux ans et
demi en France, il est parti il y a une semaine chercher du travail à Palerme. Croisé à Vintimille,
bredouille, il est déjà sur le retour.
Il manque encore 2 000 euros à Younès (le prénom a été modié) pour réunir la somme de
4 000 euros nécessaire à l’achat d’un contrat de travail en Sicile. Cet homme de 38 ans, originaire du
Maghreb, croit davantage à cette chance qu’à celle d’obtenir un titre de séjour en France, où il vit
08/07/2020 Migrants à la frontière italienne : « On ralentit le voyage, mais on ne l’empêche certainement pas »
https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/07/08/migrants-a-la-frontiere-italienne-on-ralentit-le-voyage-mais-on-ne-l-empeche-certainement-pas_… 3/3
pourtant depuis 2011 et travaille, sans être déclaré, dans le bâtiment et la livraison. Après avoir scellé
un accord de principe en Sicile, Younès a voulu rentrer en France. Pour éviter la police, il s’est
aventuré lundi sur un chemin de montagne au-dessus de Menton, surnommé « le Pas du diable ». Il a
glissé sur une paroi rocheuse et s’est retrouvé suspendu à un arbre pendant plusieurs heures, jusqu’à
ce qu’un hélicoptère le secoure. Après une nuit à l’hôpital de Menton, passée sous escorte policière,
Younès a été renvoyé en Italie dès mardi matin par les autorités françaises.