Lettre à un agent républicain des forces de l’ordre En région PACA, Rhône Alpes Auvergne ou ailleurs

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LIBERTE EGALITE FRATERNITE

 

« Quand le prochain est atteint dans ses droits, on atteint le droit qui est aussi le droit qui nous protège et donc on sait immédiatement que c’est l’ensemble de la société qui n’est plus protégée et c’est cet espace de réciprocité qui constitue le sentiment fraternel et c’est l’absence de sensibilité, l’apathie, qui empêche qu’il y ait fraternité ».

Sophie Wahnich (janvier 2016) aux « Agoras de l’Humanité ». Musée de l’histoire de limmigration à Paris

 

Lettre à un agent républicain des forces de l’ordre

En région PACA, Rhône Alpes Auvergne ou ailleurs

 

A l’énoncé de notre devise républicaine qui anime tout.e Français.e, j’ai besoin de t’écrire cette lettre car je te considère sans réserve à ce titre comme mon Frère.

Aussi, face à ces migrant.e.s et exilé.e.s désespéré.e.s, épuisé.e.s, trop souvent lâchement abandonné.e.s, voire harcelé.e.s par les pouvoirs publics, je souhaiterais partager avec toi le désarroi des nombreux.ses citoyen.e.s dont nous sommes. Nous venons au secours de ces personnes pour pallier les carences de l’Etat. Or nous te voyons, sur ordre de tes supérieur.e.s, eux-mêmes dépendant.e.s du pouvoir central, accomplir des actes contraires au droit et aux valeurs mêmes de notre République. Et cela malgré la connaissance de tous, par les médias, du quatrième revers subi au Tribunal Administratif (TA) de Nice par le préfet des Alpes-Maritimes, concernant sa gestion du flux migratoire. Sur requêtes soutenues par nos ami.e.s avocat.e.s et plusieurs associations, le « réacheminement » par tes collègues de 19 migrants mineurs vers l’Italie, sur ordre de ce préfet, a été « suspendu » le 23 février dernier par le juge des référés, celui-ci considérant qu’une « illégalité manifeste » a porté « gravement atteinte » à ces mineurs.

Trop souvent, ces agents de la force publique, oublient l’obligation qui leur est faite d’accorder à tout.e mineur.e isolé.e, avant son expulsion un délai d’un jour franc et la désignation indispensable d’un administrateur ad hoc. Au lieu de cela, depuis la dernière gare avant la frontière italienne, ils l’installent dans un train qui le dépose, anéanti, à Vintimille. Oubliée également pour toute demande d’asile, l’obligation faite à la police aux frontières de saisir l’Ofpra impérativement. Dans ce cas, l’adulte, lui, devra repartir immédiatement à pied pour l’Italie.

Trop souvent, ce sont des mineur.e.s non accompagné.e.s (MNA) qui subissent ce sort. Comme cet enfant érythréen de 12 ans qui, en janvier dernier, valut le 3ème camouflet adressé au préfet par le même TA. Selon les traités internationaux signés par la France, les règlements européens et nos propres lois qui les appliquent, ces enfants doivent être remis aux services de l’aide sociale à l’enfance (ASE), quelle que soit leur situation et qu’ils soient détenteurs ou non des documents requis.

Trop souvent, on prive des enfants non francophones, voire analphabètes, de l’interprète auquel ils ont droit. Puis on fait signer à ces mêmes enfants terrifiés des documents d’apparence anodine, par lesquels, de fait et à leur insu, ils expriment un prétendu souhait de quitter la France : parfois la case correspondante est déjà cochée sur l’imprimé. Facile ensuite de les reconduire benoîtement en Italie !

Et je ne parle pas ici de l’usage disproportionné de la force par certains de tes collègues. A Calais cela a été largement démontré et dénoncé (de même qu’en Italie, cf. rapport d’Amnesty international du 3/11/2016 et le 2017/18 Cf. « La situation des droits humains dans le monde »).

Tous ces actes, contraires au droit et à l’éthique, sont imposés par les ordres venus de la préfecture, nous le savons. Certes, comme dans tout groupe humain il y a des « vilains canards » qui usent facilement de ces brutalités et d’une domination indigne. Mais nous savons aussi que la plupart d’entre vous subissez ces ordres. Les statistiques révèlent trop souvent aussi comment, au bout du désespoir, un policier a pu mettre fin à ses jours avec son arme de service, laissant ses collègues dans l’abattement, sa famille et ses proches dans la détresse.

Par cette lettre, nous voudrions faire grandir avec vous tous une lueur d’espoir en rappelant que vous n’êtes pas obligés de respecter ces ordres que l’éthique et la loi condamnent. La République vous encourage même à les refuser. Rappelons à notre mémoire collective, convoquons ce devoir de désobéissance.

Si tu es gendarme, le Bulletin officiel des armées de décembre 2005, précise dans une «instruction n°201710/DEF/SGA/DFP/FM/1 du 4 novembre» que «le subordonné doit refuser d’exécuter un ordre prescrivant d’accomplir un acte manifestement illégal».

Si tu es policier.e tu connais le code de déontologie de la police nationale (CDPN) qui depuis 1986, sous l’autorité à valeur constitutionnelle de l’art 12 de la DDHC de 1789 (1), précise dans son article 17 : « Le subordonné est tenu de se conformer aux instructions de l’autorité, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. Si le subordonné croit se trouver en présence d’un tel ordre, il a le devoir de faire part de ses objections à l’autorité qui l’a donné, en indiquant expressément la signification illégale qu’il attache à l’ordre litigieux ». Les articles 7, le policier « a le respect absolu des personnes, quelles que soient leur nationalité ou leur origine,… » et 10, le policier « ayant la garde d’une personne dont l’état nécessite des soins spéciaux doit faire appel au personnel médical et, le cas échéant, prendre des mesures pour protéger la vie et la santé de cette personne», précisent tes devoirs au regard des personnes placées sous ton autorité (2).

Et plus généralement l’article L121-3 du code pénal traite du « délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui … ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement… »

Toi et tes collègues avez ainsi les moyens de respecter votre engagement noble à servir la République, engagement infiniment respectable en même temps que celui qui l’accompagne nécessairement et qui a pour nom : « éthique ».

Et, de ce fait, comment ne pas réagir aux événements de la nuit du 10 mars, tellement opposés à notre éthique fondamentale ? Cette nuit-là, dans les Hautes-Alpes, les forces de l’ordre ont arrêté un bénévole ayant recueilli dans son véhicule plusieurs migrant.e.s qui venaient de passer la frontière à Montgenèvre, dont une femme sur le point d’accoucher. Malgré l’urgence et les cris de douleur de cette femme, tes collègues immobilisent véhicule et occupants.e.s pendant plus d’une heure. Transportée ensuite par les pompiers, la dame accouche par césarienne d’urgence quelques instants plus tard. Et c’est sur sommation de l’hôpital de Briançon à la PAF (Police Aux Frontières), que son mari et leurs deux jeunes enfants auraient échappé à l’expulsion immédiate.

Ce mercredi 14 mars, nous avons manifesté devant la PAF du Montgenèvre pour dénoncer ces faits ainsi que la convocation reçue par le bénévole incriminé, comme d’autres, pour solidarité.

Surtout, ne te fie pas, mon frère, aux paroles des politiques qui semblent te défendre face aux critiques parfois sévères de nos ami.e.s témoins de violences policières. Demain ces mêmes politiques, si leur pouvoir en dépend, t’abandonneront et te laisseront condamner en justice, comme ce préfet a vu entraver ses actions contraires à la loi.

Tu peux refuser d’être l’exécutant des ordres d’un pouvoir qui transforme ignominieusement l’article 622-4 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) en qualifiant de « profit » les actes généreux de celles et ceux qui viennent au secours de migrant.e.s en danger et sont l’honneur de notre pays ; cela  pour mieux intimider et punir leurs auteur.e.s. Tu peux donc aussi, au nom de ce motif inique, refuser d’interpeller et de garder à vue ces citoyen.ne.s qui inscrivent leur action en cohérence avec les traditions et les valeurs les plus nobles de notre Histoire.

Merci mon frère et ma soeur, policier.e, gendarme ou douanier.e d’avoir lu ces lignes dont le seul but vise, au-delà du vivre ensemble, à notre prise de conscience collective, dans et pour l’unité de la nation, et à vous mettre en garde contre ces dérives qui peuvent conduire au pire.

 

Nous avons confiance en vous, en nous, en toute fraternité républicaine.

 

Le 15 mars 2018

Les citoyens solidaires et les associations en région PACA et RAAu, signataires :

Association pour le droit des étrangers (ADDE), Défends ta citoyenneté (DTC), Ligue des droits de l’Homme (LDH PACA et RAAu), Syndicat des Avocats de France (SAF), Roya Citoyenne (RC), Tous Migrants, Tous Migrants 73.

 

Correspondance messagerie : comiteregionalpaca@ldh-france.org

(1) Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen Art. 12. : « La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.

logie de la police nationale Art. 7. – Le fonctionnaire de la police nationale est loyal envers les institutions républicaines. Il est intègre et impartial : il ne se départit de sa dignité en aucune circonstance.

Placé au service du public, le fonctionnaire de police se comporte envers celui-ci d’une manière exemplaire.

Il a le respect absolu des personnes, quelles que soient leur nationalité ou leur origine, leur condition sociale ou leurs convictions politiques, religieuses ou philosophiques.

Art. 10. – Toute personne appréhendée est placée sous la responsabilité et la protection de la police ; elle ne doit subir, de la part des fonctionnaires de police ou de tiers, aucune violence ni aucun traitement inhumain ou dégradant.

Le fonctionnaire de police qui serait témoin d’agissements prohibés par le présent article engage sa responsabilité disciplinaire s’il n’entreprend rien pour les faire cesser ou néglige de les porter à la connaissance de l’autorité compétente…