MEDIAPART 7/6/17 « Ce lieu secret où sont enfermés les migrants… »

Ce lieu secret où sont enfermés les migrants en instance d’expulsion vers l’Italie

7 juin 2017 Par Carine Fouteau

Près de la gare de Menton-Garavan, à la frontière franco-italienne, plusieurs associations de défense des droits des étrangers viennent de découvrir l’existence de préfabriqués dans lesquels sont retenus, hors cadre légal, les réfugiés, principalement érythréens et soudanais, y compris mineurs, que la France refuse d’accueillir sur son territoire.

La gare de Menton-Garavan, dans les Alpes-Maritimes, est le premier arrêt en France après le passage de la frontière italienne par lequel transitent de nombreux migrants débarqués sur la péninsule. Le local de police installé non loin de là abrite des Algeco dont plusieurs associations de défense des droits des étrangers viennent de découvrir la fonction : « retenir » les étrangers appréhendés par les forces de l’ordre en instance de réadmission en Italie. Par « retenir », il faut entendre priver de liberté. Et cela, en toute illégalité, selon la Cimade, l’Anafé, le Gisti et les avocats de l’ADDE et du SAF, puisque ce lieu, d’après leur constat, n’a aucune existence juridique.

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Chaque jour, entre 100 et 150 personnes seraient refoulées via ce poste-frontière : les migrants interpellés dans les trains ne passent pas tous par cette cellule improvisée. Ils sont le plus souvent remis directement aux autorités italiennes, au motif qu’ils sont dépourvus de titre de séjour valide, sans avoir la possibilité de demander l’asile, contrairement à ce que prévoit la loi. Mais à 19 heures, les forces de l’ordre italiennes ferment le rideau, jusqu’à 7 heures le lendemain matin. Les étrangers arrêtés entretemps sont alors dirigés vers les préfabriqués, adossés à une petite cour grillagée.

Équipés de manière spartiate, ceux-ci disposent simplement de sanitaires amovibles. Selon le témoignage d’un mineur, collecté sur place par les associations, il est difficile de trouver le sommeil puisque cet espace ne comporte ni lits, ni matelas, ni couvertures. Seuls quelques bancs permettent de s’assoupir. Pendant sa détention, rien ne lui a été donné à manger, a-t-il dit, ajoutant que la police aux frontières avait refusé d’aller lui acheter à manger malgré l’argent qu’il proposait.

À l’arrière du commissariat, les préfabriqués où sont enfermés les étrangers avant leur refoulement en Italie. © La Cimade

En 2016, selon les statistiques d’Eurostat, la France a interdit l’entrée à ses frontières terrestres à 54 500 personnes, soit 149 par jour, parmi lesquelles 7 500 Érythréens, 7 405 Soudanais et 4 460 Afghans. Ces refus ont principalement eu lieu à la frontière italienne et notamment à Menton. Plusieurs dizaines de personnes séjourneraient ainsi chaque jour dans ce lieu de privation de liberté, sans qu’aucun cadre juridique n’en définisse la durée, les droits et les garanties, à l’encontre du droit national et européen.

Les associations l’ont découvert par hasard, à l’occasion d’une mission exploratoire menée à la frontière franco-italienne du 15 au 20 mai 2017 par l’Anafé et la Cimade. Ses membres se sont vu refuser l’entrée à cette structure, répertoriée nulle part et dont, par conséquent, ils n’avaient pas connaissance. Mais ils ont pu constater le 16 mai, puis le 6 juin lors d’une seconde visite, que des personnes y étaient effectivement privées de liberté.

L’État est en droit de retenir les personnes à qui l’entrée sur le territoire vient d’être refusée dans des zones d’attente (ZA) – qui diffèrent des centres de rétention administrative (CRA), où sont placés les étrangers en situation irrégulière résidant déjà sur le territoire. Mais selon les dires mêmes des autorités rencontrées sur place, ces Algeco de la gare de Menton n’ont pas le statut de zone d’attente. « La PAF [police aux frontières – ndlr], raconte Rafael Flichman de la Cimade, a dans un premier temps affirmé qu’il s’agissait d’une zone d’attente. Mais elle s’est ensuite rétractée pour en refuser l’accès aux représentants de l’Anafé qui sont pourtant habilités à entrer sans condition et immédiatement dans n’importe quelle zone d’attente. » « Selon les déclarations du commandant de la PAF, poursuit-il, il s’agirait “d’une zone de rétention provisoire pour les personnes non admises, un lieu privatif de liberté pour les personnes qui vont être réadmises en Italie”. » Or on ne trouve nulle trace d’une telle structure dans le droit français. Les zones d’attente, quant à elles, répondent à certains critères en termes d’équipement, mais aussi d’accès aux droits, parmi lesquels l’information dans une langue comprise par l’étranger quant à la possibilité de demander l’asile. Rien de tout cela ici.

Interrogé sur le maintien dans ce lieu de migrants toute la nuit, le responsable de la PAF aurait tout bonnement évoqué un « arrangement entre la préfecture et les Italiens ».

Les témoignages d’observateurs locaux et de migrants confirment les faits et indiquent que le premier étage de la gare de Menton-Garavan est également utilisé comme lieu d’enfermement. Selon la Cimade, des mineurs y sont même retenus sans que les droits attachés à leur condition ne soient pris en compte – leur placement en zone d’attente suppose légalement que le procureur de la République leur désigne un administrateur ad hoc susceptible de défendre leur intérêt. Depuis plusieurs semaines, les ONG italiennes accompagnant les mineurs étrangers à Vintimille observent que ces derniers ne se voient même plus notifier leur refus d’entrée ni remettre des documents écrits.

En gare de Menton-Garavan, le 15 juin 2015, des CRS contrôlent un homme dans le train pour Nice. © LF

Pour dénoncer cette situation, les associations concernées ont décidé de déposer le 6 juin une requête en référé-liberté devant le tribunal administratif de Nice afin de « faire cesser toutes les atteintes graves et manifestement illégales aux libertés fondamentales résultant de la privation de liberté de personnes exilées, consécutives de la décision informelle du préfet des Alpes-Maritimes de créer une “zone de rétention provisoire pour les personnes non admises” ».

La mise au jour de l’existence de ce lieu s’ajoute à d’innombrables pratiques illégales – et documentées de longue date – dans cette région, où les contrôles au faciès – illégaux – sont la norme pour arrêter les migrants, où les habitants leur venant en aide sont fréquemment poursuivis (comme par exemple l’agriculteur Cédric Herrou), où les droits des réfugiés sont marginalement respectés et où les mineurs isolés sont traités comme des majeurs.

Dans leur requête, les associations signataires demandent au tribunal de faire la lumière sur ce lieu de privation de liberté en effectuant une visite sur place, de suspendre la décision informelle de sa création prise par le préfet des Alpes-Maritimes, de mettre immédiatement fin à la situation de privation de liberté des personnes qui y sont détenues et de garantir l’accès effectif aux droits des personnes interpellées à la frontière. Alerté par ces abus, le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) pourrait se saisir du dossier.

Depuis les attentats du 13 novembre 2015, date à laquelle les contrôles aux frontières ont été officiellement rétablis à la frontière franco-italienne, les interpellations sont quasi systématiques aux sept points de passage localisés sur les routes et dans trois gares, dont Menton-Garavan. Mais elles avaient commencé dès 2011, lors de l’arrivée en nombre de Tunisiens à la suite de la révolution dans leur pays.

Au cours de l’année 2017, plus de 72 000 migrants sont arrivés en Europe, selon l’Organisation internationale pour les migrations, parmi lesquels plus de 60 000 via l’Italie, après avoir risqué leur vie en Méditerranée. Avec les beaux jours, les passages depuis la Libye se multiplient. 1 650 personnes sont portées disparues depuis le début de l’année. Les rescapés continuent pour la plupart leur route vers le nord, la gare de Menton constituant une halte obligée.